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Page:Harvey - Les demi-civilisés, 1934.djvu/86

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les demi-civilisés

Ne blâmons pas l’humanité d’être ainsi faite. La nature et le bon ordre l’exigent peut-être. Laissons la calme et impassible vérité faire lentement, très lentement, son travail de régénération dans le troupeau des infirmes.

Il nous suffit d’ouvrir à quelques milliers d’âmes les rares fenêtres qui donnent sur l’horizon clair du monde. Les autres, incarcérées dans le noir, sous les souffles humides et délétères de l’ignorance, finiront, elles aussi par monter vers la lumière.

Nous eûmes d’étranges luttes à soutenir. On sait que la littérature de ce pays n’a jamais admis, dans ses livres, l’existence de l’amour ou d’une grande passion. Les divers essais publiés jusque-là se bornaient à une plate sentimentalité, à des bucoliques calquées sur Virgile ou l’abbé Delisle, à des descriptions d’écoliers et à des prédications inspirées par les enseignements de mère Sainte-Adélaïde.

Hermann Lillois, jeune homme de talent, qui entra plus tard à notre revue, avait été le premier dans un roman vigoureux à découvrir et à disséquer l’amour en sa complexité charnelle comme en ses mystiques élans vers le surhumain idéal. Tout de suite, un universitaire de Montréal, critique à la mode, dans un périodique de son institution, avait condamné l’œuvre sous prétexte d’immoralité. Il recommandait à la jeunesse de s’en abstenir. Seuls les vieillards, probablement de la race même de ceux qui avaient jeté sur Suzanne des