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Page:Hawthorne - Contes étranges.djvu/137

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L’EXPÉRIENCE DU DOCTEUR HEIDEGGER

mais rassurée soudain par un regard jeté du côté de son ancien adorateur, redevenu le beau capitaine Killigrew, elle regarda résolument dans la glace polie qui lui renvoya un charmant sourire, orné de trente-deux dents éclatantes.

Dans le même temps, les trois gentlemen se comportaient de façon à prouver que l’eau de la fontaine de Jouvence, outre ses propriétés surnaturelles, était une eau capiteuse, à moins cependant que leur gaieté n’eût sa cause dans le bonheur d’une existence nouvelle. M. Gascoigne commença une dissertation à perte de vue sur la politique ancienne, la politique actuelle et la politique de l’avenir où il était fortement question d’immuables principes, d’oppresseurs et de victimes, d’inviolable patriotisme et du bien des peuples. C’est à peine si, une heure avant, il eût osé hasarder d’une voix timide ces paroles audacieuses, et chuchoter à mots couverts et par d’habiles sous-entendus, des opinions aussi subversives. En exposant alors ses théories régénératrices, sa voix vibrante et pleine d’autorité tonnait comme s’il avait parlé du haut de la tribune populaire, et comme si l’oreille des rois était attentive au roulement sonore de ses périodes. Le colonel Killigrew, tout en regrettant son uniforme, entonnait son répertoire de chansons plus égrillardes que choisies, tout en dévorant des yeux le piquant minois de la veuve Wycherly, et frappant sur son verre pour s’accompagner.

À l’autre bout de la table, M. Medbourne était littéralement plongé dans un profond calcul de dollars, rêvant une fortune dans le hardi projet d’approvisionner de glace les Indes orientales, au moyen d’un troupeau de baleines qui l’apporterait des régions polaires.