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Page:Hawthorne - Contes étranges.djvu/69

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LA FILLE AUX POISONS

jours la main sur son cœur, pourquoi as-tu fait cet horrible don à ta malheureuse fille ?

— Malheureuse ! répéta Rappaccini, que veux-tu dire, folle enfant ? Crois-tu qu’il soit malheureux d’être doué de dons merveilleux contre lesquels viendront échouer les efforts de l’ennemi le plus puissant ? Malheureuse ! parce que tu es aussi terrible que belle ! Aurais-tu préféré la condition ordinaire des femmes sans défense contre les outrages et incapables de se venger ?

— J’aurais voulu être aimée plutôt que crainte, murmura Béatrix, en s’affaissant sur elle-même, mais il est trop tard maintenant. Je m’en vais dans un lieu où le poison qui m’infecte s’évanouira comme un rêve, où le parfum des fleurs vénéneuses sera remplacé par celui des fleurs de l’Éden. Adieu, Giovanni, tes paroles de haine ont brisé mon cœur, mais je les aurai bientôt oubliées.

Ainsi périssait Béatrix, dont le poison avait été la vie et dont l’antidote causait la mort ; ainsi s’évanouissait aux pieds de son père et de son amant cette triste victime de la science et de la fatalité.

En cet instant le professeur Baglioni parut à la fenêtre du jeune homme, et d’un ton de triomphe mêlé d’horreur, il cria au savant terrifié.

— Rappaccini ! Rappaccini ! est-ce là le résultat de votre expérience ?