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Page:Hawthorne - Contes étranges.djvu/68

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CONTES ÉTRANGES

culeuse. Cette liqueur est composée d’ingrédients opposés aux terribles matières dont ton père s’est plu à nous pénétrer. C’est une distillation d’herbes alpestres. Buvons ensemble, si tu le veux, et purifions nos corps du venin qui les parcourt.

— Donne, donne vite ! s’écria Béatrix, étendant la main pour recevoir le flacon qu’il tirait de son sein. Je vais boire… Mais, toi, attends l’effet de cette liqueur pour suivre mon exemple.

Elle porta la fiole à ses lèvres. En même temps apparut émergeant du portail sombre la pâle figure de Rappaccini, qui se dirigea lentement vers les deux amants.

En contemplant ce beau couple, un sourire de triomphe vint éclairer le visage impassible du vieillard, le sourire de l’artiste qui vient de terminer son chef-d’œuvre et se recule pour en admirer l’ensemble. Il s’arrêta… son corps, qui semblait voûté par les années, se redressa… il étendit les mains sur eux, levant les yeux au ciel, comme s’il implorait sur eux la faveur de ses bénédictions. Mais ses mains étaient les mêmes qui leur avaient versé le poison ! Giovanni frissonna, Béatrix tressaillit et porta la main sur son cœur pour en comprimer les battements.

— Ma fille, dit Rappaccini, tu ne seras plus seule au monde : cueille une des belles fleurs de cette plante, ta sœur, et donne-la à l’élu de ton cœur. Elle ne peut plus lui nuire. Ma science et votre amour ont accompli ce miracle. Passez maintenant, mes enfants, au milieu de ce monde pervers, vous adorant tous deux et fatals à qui vous approchera.

— Mon père, dit Béatrix d’une voix faible, tenant tou-