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Page:Hess - L’Âme nègre, 1898.djvu/40

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MAJOGBÉ.

de ne pouvoir aller lui-même avec ses yeux d’homme qui voit. Il lui confiait son bâton fétiche. Les prêtres de son palais disaient ce bâton très ancien, du temps des premiers hommes, du temps d’Oranyan, avec sa forme symbolique de lézard sacré en cuivre ciselé sur un mode perdu depuis. Ce bâton était quelque chose d’infiniment précieux dans la maison d’Elado. Le chef, qui ne croyait plus à grand’chose, invoquait sa puissance magique. Il disait, en plaisantant, mais sérieux de pensée, qu’il avait deux fétiches de bonheur : un fétiche de chair qui était Majogbé, et un fétiche de cuivre qui était le bâton de sa race.

Il donnait à Majogbé toute sa faveur, et il adorait son bâton, en secret, dans la chambre retirée derrière les couloirs en dédale, aux portes lourdes, bien verrouillées, où il dormait quand il avait peur, quand un mauvais présage l’agitait, quand les sorts des babalaos n’avaient pas été favorables, quand le sang des victimes n’avait point coulé par jets cabalistiques, quand les pailles au matin, sur sa route, s’étaient trouvées croisées selon les combinaisons menaçantes, quand les vautours s’étaient posés en mauvais nombre sur le toit de sa demeure, quand ses esclaves avaient effacé des traces de porc sur le chemin que son cheval devait parcourir, quand il avait vu au levant dans les nuages la forme sacrée du triangle des Ogbonis…

Alors il suppliait son bâton. Il lui demandait de