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Page:Hugo - L'Homme qui rit, 1869, tome 1.djvu/29

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exutoire. Parler tout haut et tout seul, cela fait l’effet d’un dialogue avec le dieu qu’on a en soi. C’était, on ne l’ignore point, l’habitude de Socrate. Il se pérorait. Luther aussi. Ursus tenait de ces grands hommes. Il avait cette faculté hermaphrodite d’être son propre auditoire. Il s’interrogeait et se répondait ; il se glorifiait et s’insultait. On l’entendait de la rue monologuer dans sa cahute. Les passants, qui ont leur manière à eux d’apprécier les gens d’esprit, disaient : c’est un idiot. Il s’injuriait parfois, nous venons de le dire, mais il y avait aussi des heures où il se rendait justice. Un jour, dans une de ces allocutions qu’il s’adressait à lui-même, on l’entendit crier : « — J’ai étudié le végétal dans tous ses mystères, dans la tige, dans le bourgeon, dans la sépale, dans le pétale, dans l’étamine, dans la carpelle, dans l’ovule, dans la thèque, dans la sporange, et dans l’apothécion. J’ai approfondi la chromatie, l’osmosie, et la chymosie, c’est-à-dire la formation de la couleur, de l’odeur et de la saveur. » — Il y avait sans doute, dans ce certificat qu’Ursus délivrait à Ursus, quelque fatuité, mais que ceux qui n’ont point approfondi