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Page:Huysmans - A Rebours, Crès, 1922.djvu/147

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narguer tous les aspects connus des plantes, du milieu de cet as d’un vermillon intense, jaillissait une queue charnue, cotonneuse, blanche et jaune, droite chez les unes, tire-bouchonnée, tout en haut du cœur, de même qu’une queue de cochon, chez les autres.

C’était l’Anthurium, une aroïdée récemment importée de Colombie en France ; elle faisait partie d’un lot de cette famille à laquelle appartenait aussi un Amorphophallus, une plante de Cochinchine, aux feuilles taillées en truelles à poissons, aux longues tiges noires couturées de balafres, pareilles à des membres endommagés de nègre.

Des Esseintes exultait.

On descendait des voitures une nouvelle fournée de monstres : des Echinopsis, sortant de compresses en ouate des fleurs d’un rose de moignon ignoble ; des Nidularium, ouvrant, dans des lames de sabres, des fondements écorchés et béants ; des « Tillandsia Lindeni » tirant des grattoirs ébréchés, couleur de moût de vin ; des Cypripedium, aux contours compliqués, incohérents, imaginés par un inventeur en démence. Ils ressemblaient à un sabot, à un vide-poche, au-dessus duquel se retrousserait une langue humaine, au filet tendu, telle qu’on en voit dessinées sur les planches des ouvrages traitant des affections de la gorge et de la bouche ; deux petites ailettes, rouge de jujube, qui paraissaient empruntées à un moulin d’enfant, complétaient ce baroque assemblage d’un dessous de langue,