Page:Huysmans - A Rebours, Crès, 1922.djvu/245

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

berça et le mal de cœur s’accrut ; il se releva, et résolut de précipiter par un digestif ces œufs qui l’étouffaient.

Il regagna la salle à manger et mélancoliquement se compara, dans cette cabine, aux passagers atteints du mal de mer ; il se dirigea, en trébuchant, vers l’armoire, examina l’orgue à bouche, ne l’ouvrit point, et saisit sur le rayon, plus haut, une bouteille de bénédictine qu’il gardait, à cause de sa forme qui lui semblait suggestive en pensées tout à la fois doucement luxurieuses et vaguement mystiques.

Mais, pour l’instant, il demeurait indifférent, regardant d’un œil atone cette bouteille trapue, d’un vert sombre, qui, à d’autres moments, évoquait, en lui, les prieurés du moyen âge, avec son antique panse monacale, sa tête et son col vêtus d’une capuche de parchemin, son cachet de cire rouge écartelé de trois mitres d’argent sur champ d’azur et scellé, au goulot, ainsi qu’une bulle, par des liens de plomb, avec son étiquette écrite en un latin retentissant, sur un papier jauni et comme déteint par les temps : liquor Monachorum Benedictinorum Abbatiæ Fiscanensis .

Sous cette robe toute abbatiale, signée d’une croix et des initiales ecclésiastiques : P.O.M. ; serrée dans ses parchemins et dans ses ligatures, de même qu’une authentique charte, dormait une liqueur couleur de safran, d’une finesse exquise. Elle distillait un arome quintessencié d’angélique et d’hysope mêlées à des herbes marines aux iodes et aux bromes alanguis par