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Page:Huysmans - A Rebours, Crès, 1922.djvu/246

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des sucres, et elle stimulait le palais avec une ardeur spiritueuse dissimulée sous une friandise toute virginale, toute novice, flattait l’odorat par une pointe de corruption enveloppée dans une caresse tout à la fois enfantine et dévote.

Cette hypocrisie qui résultait de l’extraordinaire désaccord établi entre le contenant et le contenu, entre le contour liturgique du flacon et son âme, toute féminine, toute moderne, l’avait jadis fait rêver ; enfin il avait longuement aussi songé devant cette bouteille aux moines mêmes qui la vendaient, aux bénédictins de l’abbaye de Fécamp qui, appartenant à cette congrégation de Saint-Maur, célèbre par ses travaux d’histoire, militaient sous la règle de saint Benoît, mais ne suivaient point les observances des moines blancs de Cîteaux et des moines noirs de Cluny. Invinciblement, ils lui apparaissaient, ainsi qu’au moyen âge, cultivant des simples, chauffant des cornues, résumant dans des alambics de souveraines panacées, d’incontestables magistères.

Il but une goutte de cette liqueur et il éprouva, durant quelques minutes, un soulagement ; mais bientôt ce feu qu’une larme de vin avait allumé dans ses entrailles, se raviva. Il jeta sa serviette, revint dans son cabinet, se promena de long en large ; il lui semblait être sous une cloche pneumatique où le vide se faisait à mesure, et une défaillance d’une douceur atroce lui coulait du cerveau par tous les membres. Il