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neuf ans, moi à Rome », La lettre qu’on va lire et que nous devons encore à l’éditeur des Dessins d’Ingres au Musée de Montauban pouvait donc annoncer l’heureuse arrivée d’Anne Moulet à Rome, où elle passerait quelques-uns de ses derniers jours déjà comptés, à apprendre à un fils aimé comment venait de mourir son père et comment ses deux sœurs restaient encore au pauvre foyer, dans l’attente de la dot qui ne se constituait pas et du mari auquel il faudrait peut-être renoncer, faute d’elle.

« À Monsieur Ingres, peintre, poste restante à Rome

 » Montauban, le 5 août 1814.
: » Mon cher et tendre fils,

» J’ai reçu ta lettre du 5 août sous le couvert de M. Boissonnade, notre ami. Je connais ton bon cœur et ta sensibilité, et je ne doute pas de la douleur que tu éprouves de la mort de ton père ; tu la sens comme nous tous, cette perte irréparable ! Il était, dans nos moments de détresse, notre appui et subvenait à nos besoins urgents ; il aurait pu laisser une expectative moins affligeante à ses enfants sans état, mais respectons ses cendres et conservons l’espérance dont il n’a cessé de nous fortifier dans ses derniers moments, que nous retrouverions en toi la reconnaissance de tous les sacrifices qu’il fît pour te procurer le développement de tes dispositions naturelles dans la carrière honorable que tu parcours. Ses assurances ne sont point vaines, puisque tu commences à en donner la preuve à ta bonne mère.

» Oui mon cher fils, je vais me rendre auprès de toi pour y puiser l’entière consolation à nos peines dont tes cadets, par leurs soins et leur attachement, ont adouci l’amertume. Tu ne peux croire combien il m’en coûte pour me séparer d’eux, j’ose à peine croire que j’en aurai le courage. Cependant, l’idée de te revoir, de te presser contre mon cœur ; te voir jouir, au sein de la plus tendre union, d’une félicité parfaite, l’emporte sur tout autre sentiment ; te voir heureux et moi jouir de ce spectacle,