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Page:Ingres d’après une correspondance inédite, éd. d’Agen, 1909.djvu/36

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est le tableau le plus séduisant que puisse enfanter mon imagination. Je me transporte déjà près de toi et de ma fille Madeleine, dont la lettre amicale et affectueuse m’a fait le plus grand plaisir, partageant avec elle les soins du ménage ; car, quoique mon existence ait été parsemée de plus d’épines que de roses, je me porte encore bien et l’activité que tu m’as connue ne s’est pas encore affaiblie. J’aime le travail et mon bonheur ne sera parfait qu’autant que tu me laisseras la faculté d’exercer mes membres, auxquels l’exercice est nécessaire pour ma santé.

» La pauvre Ménine (grand’mère) n’est plus, depuis quatre ans. Elle avait pour toi le plus vif attachement, et, comme je t’en connaissais aussi beaucoup pour elle, j’ai tardé de te donner cette nouvelle affligeante ; le seul regret qu’elle a témoigné, c’est de sortir de ce bas-monde sans voir son cher fils. Sois tranquille sur son compte, comme sur celui de ton père ; ils sont morts tous deux dans le sein de la religion, et nous leur avons prodigué et fait donner des prières proportionnées à nos moyens.

» Tu me demandes des renseignements sur nos moyens d’existence ; je vais t’en tracer ici l’état ponctuel. Dans la maladie de ton père, il était sans argent comptant ; je l’ai donc aidé de mes faibles ressources. À son inventaire, nous trouvâmes 832 francs de billets ; ils sont pour ainsi dire perdus ou, du moins, avec beaucoup de frais et d’avance, on n’en pourra tirer que 400 par des saisies et par des acomptes d’année en année. L inventaire du mobilier se monte à 976 francs ; je fus donc forcée de vendre les objets de plus de valeur pour couvrir les frais de sépulture, d’apposition et de levée des scellés, de nomination de curateur, etc…, qui s’élevaient à 308 francs. Je dus acquitter ensuite divers mémoires : comme du boulanger, médecin, apothicaire, chirurgien, cordonnier, etc., qui montaient à 417 francs. Je fis, il y a peu de jours, un voyage à Toulouse, pour y vendre quelques effets dont je ne trouvais aucun prix ici, et là on me réclame encore des dettes de mon mari qu’il a fallu acquitter et même une des tiennes à