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Page:Ivoi - L’Aéroplane fantôme.djvu/242

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MISS VEUVE.

des prêts devint si élevé que vendre, même à vil prix, fut plus avantageux qu’emprunter. Et les ventes encouragées au bénéfice des sujets allemands, allemands d’origine, de famille et de race !

Longtemps, Vaniski a lutté. Il a renoncé à l’abri de sa cabane. Il s’est confiné dans le chariot qui est là en face de lui. Mais sa compagne y a contracté un vilain mal des poumons, le nom de la maladie, il ne l’a pas compris, mais elle est morte.

Et maintenant, il va devoir quitter ce dernier abri. Il est un proscrit ; prescrites sont les deux innocentes fillettes, qui attendent son retour dans le refuge sur roues qu’il avait espéré au moins conserver jusqu’à la mort.

Vaniski est arrivé auprès de la fourragère, ce logis, si peu enviable, qui le rattache encore à la patrie.

Il va rompre ce dernier lien, car le gouvernement prussien vient de promulguer un décret, aux termes duquel : le propriétaire polonais qui ne construira pas une maison, avec fondations et sous-sol creusés en terre, ne pourra enclore son champ, à moins de payer l’impôt immobilier sur toute la surface enclose.

Plus de clôture, c’est la dévastation des cultures par les bêtes sauvages, par les troupeaux, par les rôdeurs.

Ou bien payer. Ironie ! Comment le paysan incapable d’acquitter l’impôt sur une cabane, réussirait-il à acquitter les droits afférents à une surface où trouveraient place cinquante chaumières.

Le pauvre diable a un mouvement d’épaules désespéré. Puis il se hisse sur le brancard, atteint ainsi l’ouverture qu’il a pratiquée tout à l’heure pour sortir avec Slovo, et il disparaît dans le trou noir.

Les planches reprennent leur place. La maison roulante est close.

À l’intérieur, le paysan s’est arrêté. Il a frotté une allumette. À la clarté bleuâtre du soufre, ses traits apparaissent creusés par le travail et les soucis ; ses yeux, de ce bleu pâle particulier aux Slaves, luisent d’un rayon égaré, inquiétant et douloureux.

Cependant, l’allumette brûle ; la flamme rougeâtre du bois succède à la clarté livide du soufre. Sur une écuelle ébréchée, un morceau de chandelle de suif est fiché. Vaniski allume la mèche charbonneuse.

La lueur terne, tremblotant au passage de courants d’air sournois, laisse apercevoir un tableau de misère qui soulèverait le monde, si le monde avait connaissance de telles douleurs.

C’est la lente, la silencieuse agonie d’un peuple civilisé qui se lamente