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Page:Ivoi - L’Aéroplane fantôme.djvu/243

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L’AÉROPLANE-FANTÔME

par ces parois grossières, ce fond de chariot dépourvu de meubles, ces couchettes façonnées de broussailles sèches, de paille et de chiffons.

La hutte du noir, le wigwam du peau-rouge, sont des palais luxueux auprès de ce gîte du Polonais traqué par l’ennemi séculaire.

Et cependant les regards du paysan s’adoucissent. Son visage retrouve un sourire dont il paraissait incapable.

C’est que du fond du réduit, secouant les pailles, les feuilles mortes de la litière sur laquelle elles étaient couchées, deux fillettes se sont dressées. Elles s’approchent, les bras tendus, implorant une caresse. Elles prononcent ensemble :

— Père !

Elles ont, l’aînée dix ans, la cadette huit. Toutes deux se montrent chétives, mais jolies dans leurs haillons. La clarté douteuse de la chandelle leur prête un je ne sais quoi de fantastique. Elles semblent être de ces apparitions charmantes que la poétique et mystique légende polonaise dénomme Les filles de perles de Noël.

Qu’importent les loques qui les couvrent mal. Elles ont la parure que le ciel répand sur les douces filles de Pologne : les cheveux blond-pâle qui semblent tissés des rayons d’un soleil d’hiver ; les grands yeux d’un bleu sombre, presque violet, mélancoliques et tendres où luit le souvenir du rêve de la race martyre.

Vaniski les a prises dans ses bras. Il les serre toutes deux contre sa poitrine, les confondant en un même embrassement, gémissant avec une infinie douceur d’accent, leurs noms harmonieux comme des noms de fleurs.

— Mika, ma douce Mika. Ilka, ma mignonne colombe !

Et puis tout à coup, il éclate en sanglots :

— Demain, demain à la nuit, il faudra nous séparer.

— Nous séparer de toi, père, nous ne le voulons pas.

Elles disent cela d’un ton résolu. L’enfance ne croit pas au malheur invincible. Mais lui secoue la tête.

— Il le faudra, petites. La mère qui nous regarde veut, qu’il en soit ainsi, pour que la chair de sa chair ne devienne pas allemande.

— Oh ! encore ces Allemands, gronde Mika en fermant ses petits poings.

— Toujours eux, continue sa jeune sœur. Pourquoi donc le bon Christ et la sainte Madame la Vierge leur permettent-ils d’être aussi méchants ?

Hélas ! enfants, nul ne répondra à la question angoissante qui, depuis un siècle, monte des lèvres polonaises vers le ciel.