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Page:Ivoi - La Mort de l’Aigle.djvu/310

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Puis se tournant vers ses soldats, pris par le désir rageur de la bataille :

— Apprêtez… armes ! rugit-il.

Les fusils sonnent dans les mains joyeuses… Le sourire reparaît sur les traits des grognards.

Wintzingerode bondit en avant :

— C’est de la démence ; vous n’allez pas engager une lutte inutile.

— La place nous appartient durant vingt-cinq minutes encore.

— Qu’importe un pareil laps ?

— Retirez-vous !

— Prenez garde !

— Prenez garde vous-même, général. Si vous ne vous retirez pas, je commande le feu. Considérez mes hommes ;…jamais ordre ne leur aura causé plus de plaisir.

À sa lucarne, Espérat halète, la poitrine étreinte par une indicible émotion. Bobèche pâle, frissonnant comme lui, murmure d’une voix étranglée :

— Si les Prussiens pouvaient s’entêter ; si le conflit éclatait, tout serait sauvé !

Un instant, les prisonniers crurent qu’il allait en être ainsi.

Le cœur bondissant, ils répétaient, les mains unies :

— Pourvu qu’ils ne cèdent pas !

Hélas ! tout devait être contre la France ce jour-là. L’arrogance prussienne elle-même plia.

Wintzingerode très calme, consulta sa montre, s’inclina devant le colonel Kozynski :

— Votre observation est juste, Monsieur, dit-il seulement. Il est de mon devoir d’éviter l’effusion du sang.

Après quoi, il s’adressa à ses officiers :

— En arrière, Messieurs.

Un demi-tour à droite, et la colonne ennemie s’éloigna, disparut dans la rue des Cordeliers, d’où elle était sortie tout à l’heure.

Le silence se rétablit sur la place. Les Polonais, appuyés sur leurs fusils, reprirent leurs réflexions moroses ; le factionnaire préposé à la surveillance des prisonniers recommença sa promenade.

Vingt-cinq minutes d’horreur, d’anxiété éperdue, de désespoir sans nom. Puis lentement, ainsi qu’un glas, quatre heures sonnent.

Et les tambours battent, et les Polonais se forment en colonne, tandis que les Prussiens reparaissent à l’angle de la rue des Cordeliers.

Moreau, qui, à ce moment encore, semble ne pas comprendre l’horreur de sa capitulation, accourt à cheval.