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Page:Ivoi - Le Serment de Daalia.djvu/133

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grossiers à sa nourriture. Il doit supporter sans se plaindre les ardeurs du soleil, incendiant les vallées, ou les morsures des vents glacés balayant les hauts sommets. Son cœur doit ignorer l’effroi. En présence du rhinocéros furieux, du tigre à la gueule sanglante, du reptile rampant dans l’herbe, il lui faut conserver une face impassible, un coup d’œil sûr, un bras qui ne tremble pas.

Machinalement, Niclauss agitait la tête de haut en bas et de bas en haut. On eût dit qu’il approuvait les paroles prononcées. En réalité, le pauvre diable se troublait de plus en plus. Chaque mot pénétrait en son crâne ainsi qu’une aiguille. Sous ce picotement moral, sa vaillance d’emprunt s’effritait comme dune sous la rafale.

Positivement, il éprouvait cette sensation désagréable, que l’on avoue le moins possible, mais qui n’en existe pas moins, et que les dictionnaires académiques des deux hémisphères cataloguent sous la rubrique : Peur.

En vain les hommes, dans leur amour-propre naïf, ont mis leur imagination en travail pour inventer des vocables, des euphémismes permettant de ne pas prononcer le mot peur. Les langues aristocratiques, les langues vertes, ont vainement fusionné. On a lancé les expressions : avoir le trac, le taf, n’être rassuré qu’à demi, sentir courir un petit frisson, éprouver un léger froid, etc., etc.

La peur n’y a rien perdu. Comme par le passé, elle étreint le monde, explique toutes les veuleries, les lâchetés inexplicables sans elle. Dans le cas présent, elle contractait en chair-de-poule, l’épiderme de Niclauss, agitait ses membres en un incessant tremblottement. Oui, c’était bien à elle qu’il fallait attribuer ces manifestations, et non pas a la température de 40°, au-dessus de zéro, qu’eut marqué le thermomètre centigrade s’il s’en fut trouvé, dans le village des Battas.

Oui, Niclauss sentait la peur monter en lui.

Peur de quoi ? Il n’eût su le dire, mais peur invincible. Est-ce que l’on raisonne quand la panique vous enserre de ses tentacules !

Il se raidissait, se gourmandait, se disant :