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Page:Ivoi - Les Cinquante.djvu/157

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— Tout est fini, murmura-t-il, tout ; c’est l’adieu définitif à ma France bien-aimée.

L’Empereur reçut le reste du jour tous ceux qui voulurent lui être présentés. Il stupéfia les habitants de l’île, car il leur donna l’impression de la connaître mieux qu’eux-mêmes. Faisant tout sérieusement, les petites comme les grandes choses, le souverain déchu avait « appris » son nouveau royaume en effectuant la route tragique de l’exil.

Le soir, il admit en audience privée deux personnages inconnus, qui se rembarquèrent aussitôt après.

Le colonel Campbell, préludant à ses fonctions d’espion, essaya vainement d’apprendre qui étaient ces hommes.

L’Empereur ne jugea pas à propos de lui apprendre qu’ils avaient noms : Espérat Milhuitcent et Antoine fils, dit Bobèche.

Ces deux dévoués, partis de Fontainebleau après Napoléon, avaient pu se trouver à Porto Ferrajo, en ce jour pour dire au vaincu :

— Nous sommes à vous, Sire, nous allons vous attendre en travaillant pour vous.

Et comme il leur répondait :

— Ma vie est finie, rien ne me fera sortir de la prison elboise que j’ai acceptée.

Espérat s’était écrié avec un entêtement adorant :

— Les circonstances vous y obligeront, Sire. Tout le démontre,… et d’abord, pourquoi aurais-je du sang dans les veines, s’il ne devait pas couler pour vous.

On a vu que le jeune homme ne se trompait pas.

Au début de 1815, le gouvernement de Louis XVIII n’avait encore versé aucun acompte sur la rente de deux millions due à l’Empereur, rompant ainsi le premier le traité, aux termes duquel Napoléon devait rester à l’île d’Elbe. Quant à la Sainte-Alliance, elle se préparait à enlever l’exilé, à le jeter sur une île perdue au milieu de l’Atlantique, et à déchirer ainsi, sans provocation, au mépris de toute justice, le traité que l’Empereur avait exécuté fidèlement.

Aux yeux de la souveraine justice, c’est le roi de France, ce sont les monarques de l’Europe fourbe et cruelle, qui ont préparé le désastre de Waterloo ; c’est à eux qu’en incombe la sanglante responsabilité !