Aller au contenu

Page:Ivoi - Les Cinquante.djvu/159

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

velle existence, l’espion Campbell adressait, à Londres, de longs rapports, où il insistait sur l’affaiblissement des facultés de Napoléon, et dans les Cours du continent, ou plaisantait, on se flattait d’avoir abruti le génie, d’avoir raccourci le géant, d’avoir édenté l’ogre de Corse.

En réalité, Napoléon voulait se consacrer uniquement aux Elbois et oublier le passé.

En vain Masséna, puis Cambon, puis M. de Méneval, lui avaient écrit pour l’informer de ce qui se tramait contre lui au congrès de Vienne.

En vain le duc de Bassano lui avait envoyé le jeune Fleury de Chaboulon, pour lui tracer un tableau vrai de la France, mécontente de l’arrogance des émigrés, des maladresses de l’entourage de Louis XVIII ; l’exilé répétait comme un refrain monotone.

— Non, non ! L’Europe craint une France puissante. Que la France panse ses blessures durant une longue paix. L’idée de liberté qu’elle a jetée dans le monde grandira et triomphera toute seule. La France a versé assez de sang. Il ne faut pas qu’elle s’épuise, car un jour, sans doute, la liberté lui demandera de nouveaux sacrifices.

Dans la parole saccadée, dans l’intonation sèche, se devinaient la souffrance. De fait, l’Empereur souffrait de voir la France avilie, tenue à l’écart des conseils de l’Europe, divisée par les factions, sans prestige à l’extérieur, faible au dedans.

Aux préoccupations grandioses, épiques, de la période précédente, avaient succédé les préoccupations mesquines des intérêts.

Non, certes, ce n’était point là la paix bienfaisante et douce. C’était l’anarchie morale, semeuse de guerres civiles, de désordres, de tyrannie d’une caste victorieuse. D’où qu’elle vienne, d’en haut ou d’en bas, la tyrannie n’est jamais féconde.

Elle ruine les vainqueurs eux-mêmes, car un pays ne peut être riche que par l’union de tous ses enfants.

Tels étaient les raisonnements auxquels se livrait l’empereur, et pourtant il restait sourd aux appels de ses amis. Il refusait devant l’histoire le rôle de chef de parti.

Or, le 15 février 1815, il se leva de bonne heure. En quelques minutes, son valet de chambre, Marchand, l’habilla.

— Bertrand est-il là ?

— Non, Sire. Il est chez lui.

Mme Bertrand serait-elle malade ?

— Je ne sais. C’est possible. Vous n’ignorez pas que depuis la mort de son second fils, sa santé est demeurée chancelante.