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Page:Ivoi - Les Cinquante.djvu/178

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Napoléon mit pied à terre, adressa quelques mots à ses fidèles, qui tournèrent bride et partirent au trot dans la direction de Porto-Ferrajo, tenant en main le cheval du proscrit.

Un instant celui-ci demeura immobile, les regardant s’éloigner.

Le retentissement des sabots sur le sol s’éteignit peu à peu dans le crépuscule commençant.

Alors l’Empereur marcha vers la maison, il frappa.

Légère comme une ombre, la comtesse courut ouvrir.

Napoléon et Madame de Walewska se trouvèrent face à face.

Le tête-à-tête voulu par la voyageuse, ce tête-à-tête, où s’allait agiter le sort du monde, commençait.

Tout d’abord, ils se regardèrent.

Leur amitié avait été sainte. Dans leur existence, le souvenir des jours rapides, où ils avaient pensé à haute voix l’un pour l’autre, leur semblait celui d’un sacrement.

Une puissance divine les avait réunis pour donner : à elle, créature d’élite, la vision du plus grand homme qui fut jamais ; à lui, être génial et prédestiné, l’impression de ce qu’eût dû être la compagne digne de lui.

Ils s’étaient séparés avec une mélancolie douce, sereine, leur affection étant trop haute pour participer aux déchirements des tendresses vulgaires. Et cependant ils étaient convaincus qu’ils ne se reverraient jamais.

Or, voici que les événements les rapprochaient de nouveau.

La comtesse se sentait faiblir en songeant qu’elle pouvait échouer dans sa mission.

L’Empereur se disait avec inquiétude que des conjonctures graves avaient pu seules décider la démarche de la vaillante femme.

Et puis, à cette hésitation morale, se mêlait un peu de cette curiosité mondaine qui fait compter les rides et les cheveux blancs de l’ami retrouvé. Si parfait que l’on soit, on ne saurait être totalement étranger aux faiblesses des mortels.

Cet examen était favorable à la comtesse.

Depuis 1809, les années avaient passé sur elle sans laisser de traces. Napoléon revoyait cette beauté complète, d’une austérité charmeresse, qui l’avait troublé jadis. Peut-être même avait-elle gagné encore en perfection. La calomnie, en étonnant l’âme pure de Mme de Walewska, avait allumé en ses yeux une flamme plus vive, accentué la chasteté de son front, rapproché la femme de l’ange.

Pour l’Empereur, au contraire, les années avaient été pesantes.

Il avait grossi, son masque de César s’était quelque peu empâté. La