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Page:Ivoi - Les Cinquante.djvu/188

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nous entendre, il ne manquerait pas de croire que nous préparons une expédition contre une des puissances.

Puis revenant à Pons :

— M. l’Administrateur, les soucis de mon gouvernement m’ont empêché, en France, de donner une attention suffisante à la Marine. Je veux réparer cette omission à l’île d’Elbe. Vous voudrez bien faire réunir toute la flottille sur la rade de Porto-Ferrajo. Au premier jour, nous offrirons à nos sujets le spectacle d’une revue navale.

Pons s’inclina.

— Maintenant, je vous exprime mon regret de vous avoir imposé une veille aussi tardive ; mais, vous le savez, quand j’ai une idée en tête, je n’aime pas la laisser refroidir. Rentrez chez vous, M. l’Administrateur, et présentez mes respects à Madame Pons, que tout cela a dû bien déranger ce soir.

Madame Pons pratiquait toutes les vertus domestiques, et Napoléon ne manquait jamais de marquer son respect pour elle.

L’administrateur se retira pour rentrer à Porto-Ferrajo.

Quand il se fut éloigné, Espérat se leva vivement, vint à l’Empereur et lui prenant la main, la porta à ses lèvres, avec ce mot prononcé d’un ton d’infinie reconnaissance :

— Sire, merci !

L’exilé eut un triste sourire :

— Tu n’as pas changé, Espérat, tu es toujours le croyant que j’ai aimé durant cette terrible campagne de France. Moi, hélas ! en face de l’infortune, j’ai senti ma foi ébranlée. Je doute.

— Le doute conduit à la résignation des faibles, Sire.

— Je me résignais, mon ami.

Le jeune homme se redressa d’un mouvement violent :

— Non ! Vous consentiez au sacrifice. Vous espériez que les Alliés ne frapperaient que vous seul, et vous vous immoliez à la France. Maintenant, vous êtes sûr que leurs diatribes contre vous ne sont que prétextes ; c’est à la patrie de la Liberté, c’est au peuple qui a lancé dans l’espace ce mot étrange et plein de promesses : République, qu’ils en en veulent. Et Napoléon, fils de la Liberté, renonce au repos ; il est prêt à courir au danger. Apôtre du drapeau tricolore, vous le ferez triompher.

Doux était le regard de l’Empereur fixé sur son jeune ami.

Mais l’exaltation de celui-ci ne le gagna pas.

— Je me sacrifie, c’est vrai ; mais je n’ai pas ta certitude de la victoire, Espérat. Qu’importe d’ailleurs. Vaincu, l’agonie sera pour moi seul. Ce