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Page:Ivoi - Les Cinquante.djvu/218

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la conscience bien vague de son acte, il se leva brusquement, étendit la main vers le sud.

— La brise, modula-t-il d’une voix douce, la brise ; je l’entends, elle accourt pour nous pousser vers la côte de France.

Ceux qui l’entendirent eurent un mouvement de colère.

— Que raconte ce jeune fou ?

— Nous n’avons pas besoin des plaisanteries d’un cerveau détraqué.

— Pourquoi est-il ici ?

— Ne pourrait-on l’enfermer ?

Puis tout se tut.

Un souffle avait passé sur le navire, venant du midi.

Alors, tous entourèrent le jeune homme.

— Il avait raison.

— Espérat, entends-tu toujours le vent accourir ?

Souriant, il répondit :

— Oui.

Les soldats, ces grands enfants, toujours avides de merveilleux, renaissaient à l’espoir. Milhuitcent leur apparaissait comme un devin inspiré.

À toutes les époques, d’ailleurs, les manifestations étranges de la double-vue ont été l’objet de la vénération des simples. Ont-ils tort d’ailleurs, et certaines émotions, certaines angoisses, la science moderne le démontre, donnent lieu à des phénomènes de télépathie, qui ne se rencontrent point chez les êtres à l’état normal.

Un second souffle caressa la voilure.

Des cris enthousiastes l’accueillirent :

— Le vent ! le vent ! clamaient les soldats.

— La brise adonne, répondaient les matelots.

En un instant, les commandements se croisèrent ; chacun se mit à la manœuvre. La brise, d’abord intermittente, se fit régulière et continue.

Au milieu des hourrahs joyeux de la petite armée, l’escadrille reprit sa route vers le nord.

À midi, elle était à la hauteur de Livourne.

Tout à coup, une voix descendit des huniers !

— Voile à bâbord, voile à tribord, voile par l’avant à nous.

Le commandant Taillade tressaillit à son banc de quart. Vite, il braqua sa lunette dans les directions indiquées.

À droite et à gauche, c’étaient des frégates de guerre ; en avant c’était un vaisseau de ligne.

L’officier proféra un juron, et appelant un enseigne qui passait :