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Page:Ivoi - Les Cinquante.djvu/242

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— Le courtisan du malheur, appuya Lendron.

Le roi eut un léger sursaut.

— C’est donc le duc de Bassano que vous avez portraituré ?

— Oui, Sire.

— Voyons cela.

Les menaçant du doigt, le souverain murmura :

— Je ne veux pas que l’on soit méchant pour celui-là. Il reste fidèle à son maître exilé. Plût aux dieux qu’en pareil cas je trouvasse semblable fidélité !

Un voile de tristesse obscurcit un instant les traits du roi qui, on le voit, ne se faisait aucune illusion sur le loyalisme de son entourage. Mais avec un petit mouvement sec, Louis sembla chasser la pensée importune, et redevenu gai.

— Allez, mes pamphlétaires, je vous écoute.

En dépit de la permission, les gazetiers demeurèrent cois.

— Qu’est-ce donc ? questionna leur royal interlocuteur.

— Sire, se décida à répondre Lendron, je relis pour moi d’abord. Bien qu’accoutumés à la splendide magnanimité de notre souverain, il se peut que, dans le feu de l’improvisation, nous ayons décoché quelques brocards au « pleureur de l’aigle en fuite ». Je relis pour biffer ce qui sonnerait mal aux oreilles clémentes du Monarque que la Rome des Césars aurait qualifié d’Auguste.

Louis daigna accueillir la flatterie.

— Bon, fit—il la faute est dans l’intention, non dans le fait. Lisez à haute voix, nous bifferons ensemble, s’il y a lieu.

Les écrivains s’inclinèrent et Lendron débita lentement :

— M. le duc de Bassano, de son véritable nom, Maret (Hugues-Bernard), né à Dijon, le 1er mars 1763, était fils d’un médecin de cette ville.

— Il a donc environ cinquante-deux ans.

— Oui, Sire.

— Cinquante-deux, reprit le roi d’un air pensif. À cet âge-là, on n’a plus la fougue de la jeunesse ; on est désabusé de la vie. La loyauté a donc un prix plus grand. La droiture de Bassano fait que j’envie Napoléon.

— Oh ! la reconnaissance faisait à Maret un devoir…

— La reconnaissance, vous y croyez, vous autres… La reconnaissance est d’une digestion pour laquelle il n’est pas de mauvais estomac.

— Votre Majesté veut exprimer que la reconnaissance dure peu.

— C’est un feu de paille.