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Page:Ivoi - Les Cinquante.djvu/251

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frissonner. Quant à Jacob, Parisien sceptique, il haussa les épaules de l’autre côté de la porte, en raillant :

Fa, fa, tu n’es qu’un charladan !

Cependant Latrague continuait :

— Cela a commencé l’autre jour ; j’étais près d’elle ; elle jouait machinalement avec des perles de verre. Soudain elle s’arrête, tend la tête comme pour écouter ; ses yeux expriment la surprise, et elle dit à demi-voix : Où suis-je donc ? Ce grand salon ; avec ces portraits encadrés par la boiserie ? Louis XVIII et Carnot ! Le roi et la révolution.

— Elle rêvait les yeux ouverts. Il n’y a ici aucun portrait de ce genre.

— Non, Monsou le comte, elle ne rêvait pas, la povre ; mais son esprit, il voyageait, et, en cet instant, il était à Marseille, dans le salon du gouverneur, le maréchal Masséna.

— Vous êtes fou !

— Les tableaux auxquels elle faisait allusion sont là. Je les y ai vus. Attendez, d’ailleurs, ce n’est pas tout. Mlle de Rochegaule continua :

— Qui donc est cet homme ? Mais c’est le maréchal Masséna, les cheveux presque blancs, le teint brun, l’accent méridional. Là-dessus elle eut un éclat de rire, puis semblant se moquer : « Ah ! ah ! si l’Empereur rentre en France, le maréchal le fera arrêter sans hésiter, c’est la réponse qu’il renvoie par le télégraphe optique aux ordres de la cour.

Le comte avait blêmi.

— C’est vrai, bégaya-t-il, c’est bien là ce qu’a répondu Masséna.

— Eh donc, s’écria triomphalement Latrague, vous voyez bien que je ne suis pas fou, rascasse, et que l’esprit de la malade se promenait bien à Marseille.

Dans sa cachette, Jacob avait pris un air sérieux.

Le gamin se sentait ému.

— Et après ? questionna enfin d’Artin.

— Après, Mlle de Rochegaule s’est remise à jouer avec ses perles. Seulement, il y a trois jours, elle a manifesté une agitation extraordinaire. De grands gestes, des mots sans suite, du moins ils m’apparurent tels… C’est cela, jetez-vous dans les montagnes… C’est à Grenoble que tout se décidera… Espérat, mon frère ; Marc Vidal, mon fiancé.

— Espérat, Vidal, répéta le comte en serrant les poings.

— Vé, oui… Et tout à l’heure, une nouvelle crise s’est produite… Tout est sauvé, s’est écrié la malade, tout. Maintenant l’Empereur rentrera dans son vieux palais des Tuileries.

— L’Empereur ?