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Page:Ivoi - Les Cinquante.djvu/276

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VIII

La semence de trahison


Tandis que le galop de son cheval l’emportait, le comte d’Artin songeait, avec une ironique amertume, aux surprises désagréables qui attendaient le roi ingrat. Ingrat, c’est, ainsi qu’il le désignait, à présent.

Essayant une suprême tentative pour empêcher Napoléon d’entrer à Grenoble, le préfet Fourier et le gouverneur Marchand faisaient construire un retranchement en avant des portes.

Mais à l’attitude des curieux qui regardaient, à celle des soldats employés aux travaux, on devinait que cette fortification tardive serait inutile.

La cause des Bourbons était perdue dans le Dauphiné par le fait que personne ne voulait barrer la route à Napoléon.

Les royalistes, minorité insignifiante noyée dans la masse du peuple, comprenaient leur impuissance, et après avoir fait beaucoup de bruit, se montraient résolus à ne point faire de besogne.

— Parbleu, monologuait le cavalier, il n’est pas difficile de deviner ce qui va se passer. Napoléon paraît. Des acclamations s’élèvent. Les portes de Grenoble lui sont ouvertes par les paysans, les citadins et les soldats.

Comme on le voit, la haine lui faisait voir juste.

Quelques heures plus tard, en effet, les choses avaient lieu ainsi, et l’empereur, descendant avec Drouot à l’hôtel des Trois Dauphins, pouvait dire au vaillant général :

— Maintenant, les Bourbons sont perdus !

En arrivant à Lyon, d’Artin sut que le Sénat venait de mettre à prix la tête de Napoléon et de ses « brigands ».

— Ici, disait-on, le duc de Berry et Macdonald mettraient la main au collet de l’usurpateur.

Mais après une heure de séjour, le traître était certain que toutes ces espérances fondraient comme neige au soleil, à l’approche du grand capitaine.