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Page:Ivoi - Les Cinquante.djvu/299

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XI

Le 14 juin 1815


En arrière de la forêt de Beaumont, dont les futaies sont à cheval sur la frontière franco-belge, le petit village qui a donné son nom aux taillis, semble une sentinelle avancée, tapie à l’abri des feuillages, pour surveiller l’ennemi sans être vue.

Or, le soir du 14 juin 1815, cette apparence prenait un cachet saisissant de réalité.

Des troupes occupaient Beaumont, et dans la maison d’école, à la porte gardée par un grenadier de la garde, l’Empereur s’était enfermé.

Deux personnes seulement étaient auprès de lui, au milieu de la salle de classe, dont les bancs, les pupitres avaient été amoncelés le long des murs.

C’étaient le commandant Marc Vidal et Espérat Milhuitcent.

On eût cru qu’au moment d’engager la suprême partie, Napoléon avait voulu méditer entre les deux hommes qui synthétisaient le dévouement à son génie.

Devant une table de bois blanc, éclairée par des chandelles, l’officier et son jeune compagnon étaient assis.

L’écritoire, les papiers couverts de phrases brèves, la plume frémissant entre leurs doigts, décelaient leur occupation.

Ils écrivaient sous la dictée de l’Empereur.

En cet instant, tous deux avaient les yeux fixés sur leur idole. Lui, ne les voyait pas. Le front penché, les bras croisés derrière le dos, il marchait lentement, parlant à mi-voix, comme s’il avait été seul :

— Je ne pouvais agir autrement. L’Europe est coalisée. Huit cent mille hommes marchent contre moi.

Il s’arrêta, eut un mouvement volontaire des épaules :

— Si j’avais quatre mois de répit, je disposerais de quatre cent mille