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Page:Ivoi - Les Cinquante.djvu/61

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coquin de Talleyrand ! Quelle diable de commission pouvait-il avoir pour le favori du roi, pour le roi lui-même ?

— Mais toi ?

— Moi je surveillais la demeure du comte polonais Walewski et, sous la veste d’un commissionnaire, je fus chargé par ce seigneur, de porter un message à M. de Blacas, confirmant un entretien que M. de Walewski avait eu avec le favori du roi. Naturellement je l’ai lu avant de le remettre. J’ai appris ainsi que le comte était, à Paris, un agent de l’empereur de Russie.

— Tu dis ?

— Alexandre a rêvé de reconstituer la Pologne avec Napoléon comme souverain.

— Lui ?

— Il s’agit pour la Russie de faire pièce à la Prusse. Le pauvre comte est naïf comme l’enfant qui vient de naître ; n’a-t-il pas demandé à Blacas de rallier le roi Louis XVIII à cette combinaison. Le roi, dresser un trône à l’Empereur, c’est fou !

— D’ailleurs, ajouta tristement l’interlocuteur du pitre, l’Empereur refuserait. Lors de son dernier voyage à l’île d’Elbe, Espérat l’a vu, Lui. Il l’a supplié de venir au secours de la France mutilée, tenue à l’écart des conseils européens. Il a répondu : Enfant, je t’aime, mais je vois plus clairement que toi. C’est à travers le prisme de ton affection que je t’apparais nécessaire là-bas. Erreur. Je suis plus utile à ma France bien-aimée ici. Le roi d’Elbe — et il eut un sourire déchirant — le roi d’Elbe divise les alliés, l’Empereur des Français reformerait l’alliance de l’Europe contre la vieille terre de Gaule. Ne parlons plus de cela. Peux-tu me donner des nouvelles de mon fils, de ma femme, que l’on refuse de m’amener ici.

Le jeune homme essuya une larme.

— Pauvre père, que Marie-Louise l’Autrichienne prive des baisers de son enfant. Oh ! qu’elle soit maudite !

Mais secouant brusquement sa préoccupation, il reprit. :

— Et Espérat ?

— Admis depuis hier comme rebouteur à l’hôtel Villardon. Tu l’as vu en fonctions.

— Son déguisement n’a donc pas éveillé de soupçons.

— Aucun. Le petit gueux s’est fait une tête… de comédien. Ma parole ! en rebouteur, il est parfait. Le véritable Denis Latrague passerait pour un imposteur auprès de lui.