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Page:Ivoi - Millionnaire malgré lui.djvu/118

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MILLIONNAIRE MALGRÉ LUI.

couronne les montagnes, tombe en perles bleues des étoiles. Elle meurt de langueur en pays civilisé, où la vie s’écoule entre les tortionnaires, depuis le concierge jusqu’au facteur, en passant par belle-maman, créatrice haïssable de l’ange vaniteux à qui l’on consacre son nom et sa vie.

— Peste ! monsieur Kozets, plaisanta Dodekhan, il me semble que vous-même vous entendez à aligner les lettres noires sur le papier blanc. Quel style !

L’agent s’inclina modestement :

— Vu l’intérêt que vous portez à l’objet du rapport, j’ai cru bien faire en psychologuant un peu.

— Et vous avez eu raison, monsieur Kozets. Poursuivez ; votre littérature m’est tout à fait agréable.

Kozets reprit :

— Or, Albert Prince, tendre, affectueux, souffrit d’un mal plus fréquent qu’on ne l’imagine. Il ne fut point endolori par les angoisses d’une affection non partagée, mais par l’impossibilité de rencontrer l’âme à qui pût aller son affection.

Joli garçon, en passe d’une belle position, il se vit entouré de filles à marier, et malgré son vif désir du mariage, aucune ne lui apparut l’épouse souhaitée. Il sentait qu’auprès d’elles l’hymen ne serait qu’une continuation de son célibat moral, avec, en plus, un froufroutement de jupes, un bruit de voix s’énervant à dire des riens, dans l’impuissance de rien dire, un carillon de sonnailles troublant sa pensée sans la comprendre.

Ceux qui ont réellement une âme sont malheureux, parmi la foule qui croit prétentieusement en avoir une.

Homme d’action néanmoins, Albert a lutté. De la meilleure foi du monde, il a essayé de se contraindre à la tendresse banale, puisque celle-là seule paraît accessible à l’humanité.

Vains efforts. Maintes fois, il a cru atteindre le but. Toujours une manifestation niaise, vaniteuse, égoïste ou étriquée, a refermé son cœur, que la concentration de toutes ses forces arrivait à peine à entr’ouvrir. Après les demoiselles (caste noble de la bourgeoisie provinciale), il a interrogé le cœur des ouvrières, et il a constaté que la différence entre ces deux pôles féminins de la hiérarchie sociale peut s’exprimer ainsi : « Les demoiselles le sont sans savoir pourquoi, alors que les ouvrières savent pourquoi elles désirent devenir demoiselles. »

En dernier lieu, le destin a semblé un moment vouloir récompenser sa patiente recherche.