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Page:Ivoi - Millionnaire malgré lui.djvu/117

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L’HÉRITAGE DE LA « FRANÇAISE ».

— Bonnard et Cie ? répéta Dodekhan.

— Oui, des fabricants de vinaigre, moutardes et autres produits alimentaires.

— Il est bien mon frère, fit le jeune homme entre ses dents. Orphelin, la vie triste… mais lui au moins connaîtra le bonheur, je le veux.

Et s’adressant à Kozets qui le regardait, attendant son bon plaisir :

— Je vous demande pardon, continuez.

Le policier ne se le fit pas répéter deux fois :

— L’instruction d’Albert, reprit-il, ses excellentes manières, le signalèrent à l’attention et, il y a deux mois, le vieux Bonnard, directeur délégué, lui a proposé d’accomplir une tournée dans l’Amérique du Nord, Canada et États-Unis, afin d’y créer des relations commerciales à la Maison.

— Si vous réussissez, a déclaré le délégué, le conseil d’administration, auprès duquel j’ai fait valoir vos connaissances, vos aptitudes, est décidé à vous élever au rang d’intéressé. Piochez donc ferme, le chemin de la fortune s’ouvre devant vous.

Prince a accepté, à telle enseigne qu’après demain il arrivera à Paris, où il passera quelques jours pour le règlement d’affaires courantes. Après quoi, il se dirigera vers le Nord américain.

Mais laissons cela… j’y reviendrai tout à l’heure.

— Pourquoi ?

— Parce qu’il y a des détails… pour l’instant, je tiens à vous présenter l’être moral de ce voyageur.

— Faites ainsi que vous l’entendrez.

— Je vous remercie de la permission. Donc, portrait moral, intellectuel et affectueux d’Albert Prince. L’ex-candidat à l’École Polytechnique, actuellement voyageur de commerce, a reçu de la nature, plus forts que toutes les distinctions sociales, un cœur, une âme de poète. Oui, de poète, parfaitement.

Non qu’il commette des vers, le digne garçon. Il laisse à d’autres le souci cruel de remplir des pages blanches de lignes noires d’inégale longueur, parmi lesquelles le collège puise les pensums et fait naître ainsi, chez les jeunes générations, une aversion profonde, mais justifiée, pour ce genre de littérature.

Poète réel, par cela même discret, il se borne à penser en poète.

De là une souffrance.

Dans les contrées réputées sauvages par les niais prétentieux, la poésie jaillit des forêts, des déserts, roule en tourbillons dans les fleuves rapides,