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Page:Ivoi - Millionnaire malgré lui.djvu/14

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MILLIONNAIRE MALGRÉ LUI.

et nerveux, les extrémités aristocratiques. Quant au visage : le teint mat, les lèvres rouges ombragées d’un léger duvet, le nez droit, les yeux noirs ; doux, souriants, et cependant doués de regards aigus, eussent tenté peintres et sculpteurs, désireux de fixer le type de la beauté masculine adolescente.

C’était un Apollon du Belvédère, avec je ne sais quelle adjonction de grâce hindoue, d’audace afghane, de dignité turkestane. Et ma foi, son regard profond devait être bien difficile à soutenir, car M. Kozets, sur qui il se posa un instant, baissa les paupières et détourna la tête.

— Qui es-tu ? demanda le gouverneur.

— Douze, répliqua le prisonnier d’une voix harmonieuse, chaude, enveloppante, mais dans laquelle cependant vibrait quelque chose de métallique et d’autoritaire.

— Douze, c’est un nombre… C’est ton nom que je veux.

— Douze est aussi mon nom. Je suis Dodekhan le Turkmène, fils de rois. Je me nomme ainsi comme l’antique divinité des plateaux du Pamir, parce que je suis le plus noble, le plus fort, le plus grand. Une pensée orgueilleuse auréolait le jeune front de Dodekhan. Ce prisonnier qui se proclamait le plus noble, le plus grand, ne prêtait pas à rire. Bien plus ses auditeurs éprouvaient en sa présence une sorte de gêne.

Pour combattre cette impression, le gouverneur reprit l’interrogatoire.

— Pourquoi es-tu enfermé ici ?

— Une rixe, à Samarcande, avec des soldats russes.

— Oh ! oh ! tu es batailleur.

— C’étaient des brutes.

— Tu traites durement les soldats du Tzar.

Dodekhan haussa les épaules.

— Qu’importe. Les juges du Tzar les ont vengés, puisqu’ils m’ont envoyé ici. Et à cette heure, il ne s’agit point du passé, mais du présent.

Stanislas Labianov hocha la tête et avec condescendance :

— Après tout, tu as raison. Pourquoi as-tu désiré me parler ?

— Parce que la mort est sur quelqu’un, et que seul je puis adoucir les minutes suprêmes de celle qui va partir.

Il y avait une mélancolie douloureuse dans le ton dont ces paroles furent prononcées.

Labianov et Kozets avaient tressailli.

— De qui parles-tu ? exclama vivement le gouverneur.

— De celle que vous appelez 1313 ; de celle que mes frères en douleur nomment la « Française ».