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Page:Ivoi - Millionnaire malgré lui.djvu/352

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LE PRINCE VIRGULE.

— Pas digne… Vous qui souffrez pour moi, qui vous condamnez aux pires tribulations par affection pour moi !

— Eh ! le beau mérite d’aimer un ange.

Elle secoua mutinement la tête.

— Non, pas un ange, mais une petite fille mal élevée, une tête folle qui, toute pétrie de vanité, pensait que la plus admirable vertu était d’avoir un titre, de pouvoir faire peindre sur des écussons, broder sur des velours et des soies, une couronne avec un blason, rébus héraldique qui fait sourire les gens sérieux. Pardonnez-moi de parler ainsi de votre noblesse, prince, mais je me surprends à souhaiter que brusquement votre titre vous soit enlevé, afin de vous démontrer que ce n’est pas lui que mon cœur apprécie en vous.

Il avait les larmes aux yeux.

C’était exquis et désolant de l’entendre déployer aussi ingénument sa pensée devant lui… devant lui, menteur et félon, qui n’avait point la force de lui crier :

— Mais je ne suis pas prince : couronnes, blasons, me sont étrangers. Je suis simplement Albert Prince, représentant de la maison Bonnard et Cie, de Tours, qui, grâce à vos relations, s’est assuré une magnifique clientèle au Canada. Je vous dois tout, jusqu’à ma réussite commerciale. Je suis votre objet, votre chose, votre serviteur. Brisez-moi comme un jouet qui a cessé de plaire pour me punir d’avoir menti !

Tout cela bouillonnait dans son cerveau, accélérait follement les palpitations de son cœur. C’était cela que l’honneur le conviait à dire, cela qu’il voulait exprimer.

— Et cependant sa bouche prononçait :

— Je voudrais que la ruine s’abattît sur vous, afin que disparût cette fortune dont j’ai horreur et souffrance, et que vous comprissiez qu’à vous, à votre chère et douce personne, va l’élan de mon âme.

Elle le regardait, ses grands yeux brouillés de larmes.

Et lui, bouleversé de la voir ainsi, parlait encore.

— Oh ! cette fortune ennemie des saines affections. Qu’est le mariage avec elle ? Une convention qui amène dans la maison un compagnon de plaisir, rien de plus. L’argent est là comme avant, pour acheter, pour payer le luxe qui ne satisfait qu’à moitié, car rien ne vaut que par l’attente, que par le désir prolongé. Au lieu de cela, vous, moi, pauvres, comme tout change ! Nous devenons l’un pour l’autre l’appui, l’ami avec lequel on mêle rires et larmes. J’ai travaillé, donné de ma vie, de mon sang, pour cette robe qui