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Page:Ivoi - Millionnaire malgré lui.djvu/353

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MILLIONNAIRE MALGRÉ LUI.

moule votre beauté, pour ce chapeau dont les rubans claquent gaiement au vent, au-dessus de vos frisons d’or, de vos regards d’azur !

Elle respirait avec effort, bouleversée par ces pensées pénétrantes.

Oh ! oui, cela est vrai ! Les riches, les puissants, ne connaissent pas les affections profondes que seules, la lutte en commun, la souffrance partagée, cimentent.

Et elle se surprenait à murmurer :

— Qu’est-ce qu’une couronne ? Qu’est-ce qu’un titre, rivé à la terre par un piédestal plus ou moins élevé, auprès de la tendresse qui, déployant ses longues ailes blanches aux tons roses, pique tout droit en plein ciel ?

Dans ce cœur de milliardaire s’épanouissait la fleur de vérité, méconnue par tant de femmes futiles, de petites bourgeoises, dont toute la conception de la vie est de plagier les élégances ; cœurs vides, esprits creux, qui, tout à la satisfaction d’une ridicule vanité, s’exilent du bonheur, de l’affection confiante et réciproque, de l’indépendance du home, dont la devise est et sera toujours :

« Bien faire et laisser dire. »

Agir selon ce que l’on sent droit, juste, sans s’inquiéter une seconde des appréciations de la foule sotte et vaniteuse que l’on coudoie. L’expérience conduit tous les intelligents à cette conclusion.

Ah ! si les niais, les pauvres hères qui ne sont rien dans le domaine de la bonté ou de la pensée, les ridicules pantins dont toutes les facultés sont tendues non pas à être quelqu’un, mais à paraître quelque chose, si ces fantoches se rendaient compte qu’ils ne trompent personne sur leur nullité, que sous la politesse courante se cachent les sourires d’une ironique pitié, ils s’empresseraient de rejeter leurs prétentions ; mais ils ne sauraient comprendre, parce que sots ; ils s’admirent, ils se croient les égaux des plus illustres. Ils sont comme les ignorants, sachant lire, écrire et compter, qui ne se doutent pas de ce qui leur manque pour mériter la qualification de gens instruits, parlent de leur savoir, avec des phrases boiteuses, des mots écorchés, ou pris hors de leur sens. En toilette, en tenue, en tout, on fait des fautes d’orthographe, et ceux qui les commettent sont les seuls à ne pas s’en apercevoir.

Et, sous toutes les formes, de toutes les façons, Laura et Albert développaient ces pensées.

Ils oubliaient le danger suspendu au-dessus de leurs têtes, tout au plaisir de se voir, de s’entendre.

La voix de leur compagnon les tira de ce doux songe éveillé.