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Page:Jacques Bainville - Napoléon.djvu/161

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NAPOLÉON

Si Bonaparte ne voulait pas être le grand Électeur, « ombre décharnée d’un roi fainéant », « cochon à l’engrais », et préférait n’être « rien plutôt que ridicule », le suprême personnage de l’État imaginé par Sieyès alarmait les républicains. Pour eux, c’était l’équivalent d’un roi, alors qu’un président à l’instar des États-Unis leur semblait déjà trop. Bonaparte se servit de cet épouvantail pour démolir le grand Électeur. Il mit le plan de Sieyès en discussion devant les commissions législatives tirées des Conseils. Daunou, ancien conventionnel, fut chargé de rédiger un contre‑projet. Daunou avait été le principal auteur de la Constitution républicaine de l’an III. Tout en la corrigeant, il tenait à laisser dans la nouvelle le plus possible de la précédente. Puisque la nécessité de resserrer et de renforcer le pouvoir exécutif était reconnue, Daunou proposait de remplacer, selon l’idée primitive des brumairiens, les cinq Directeurs par trois Consuls. Seulement, pour ne pas retomber dans l’instabilité et dans les divisions intérieures du Directoire, les consuls seraient nommés pour dix ans, et l’un d’eux aurait la préséance. De la conception du grand Électeur sortait ainsi un premier Consul qui fut naturellement Bonaparte, puisque c’était à lui que le plus haut poste avait déjà été offert. Des divers amendements apportés par Daunou au plan de Sieyès, celui-là, large pas vers l’unité du pouvoir, fut à peu près le seul qui passa, mais il était essentiel. Alors, la Constitution de Sieyès, qui abolissait déjà le système électif, se trouva en outre pourvue d’un chef véritable par l’initiative d’un républicain, ancien membre de la Convention. Au choix du général Bonaparte, il ne manqua même pas l’approbation des deux commissions législatives tirées, du reste, des Anciens et des Cinq‑Cents et qui, par conséquent, représentaient la tradition des Assemblées révolutionnaires.

Si l’autorité que dégageait la personne du jeune général — souvenons-nous qu’il vient d’avoir trente