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Page:Jacques Bainville - Napoléon.djvu/162

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LE PREMIER DES TROIS

ans — s’est imposée aux brumairiens, c’est ainsi, toutefois, et non autrement, qu’il est arrivé à la première place dans l’État. Les circonstances, jugées par lui d’un œil sûr, exploitées avec décision, l’y ont porté. Des républicains l’y ont appelé. Il y est venu au moins aussi légalement que les bénéficiaires du coup de fructidor. Et, d’une manière fortuite, la Constitution de Sieyès a singulièrement aidé à lui mettre tout à fait le gouvernement entre les mains. Dégoûté de la politique et des hommes, Sieyès s’élimina, s’« absorba » d’ailleurs de lui‑même, au prix d’une retraite confortable, tandis que Roger‑Ducos disparaissait avec modestie. Bonaparte n’eut plus qu’à choisir librement ses collègues, le deuxième et le troisième Consuls.

Ce furent des choix judicieux de personnages à la fois dociles et décoratifs, des choix pleins de sens, et qui indiquaient une politique. D’abord Cambacérès, que l’on a vu ministre de la Justice et neutre au 18 brumaire, un homme de bonne famille, conseiller des aides sous Louis XVI, frère d’un chanoine tardivement assermenté et qui va être archevêque. Cambacérès, entré dans la Révolution, avait présidé le Comité de salut public, toujours prudent, opportuniste et modéré en tout, jusque dans le régicide, puisqu’il avait voté le sursis. Au reste, ami des honneurs et dignitaire né ; on a dit de lui qu’il était « l’homme le plus propre à mettre de la gravité dans la bassesse ». Il fallait ensuite quelqu’un qui, sans avoir une réputation de réactionnaire, fût encore moins marqué que Cambacérès et fît lien avec l’ancien régime. Car l’idée du premier Consul était déjà la « fusion ». Après avoir cherché avec soin, et s’étant informé, il désigna Lebrun.

Celui‑là, d’âge plus que mûr (il avait la soixantaine), représentait un courant, une tradition de la monarchie. Il avait été secrétaire du chancelier Maupeou, dont il avait rédigé les ordonnances au temps de la « révolution » que ce ministre avait tentée, lorsque avec l’appui de Louis XV il avait voulu