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Page:Jacques Bainville - Napoléon.djvu/183

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NAPOLÉON

de sa propre fin : « Si j’éprouvais un grand échec, ils seraient les premiers à m’abandonner. »

Mais il rentre vainqueur, résolu à tirer tout le fruit de sa victoire. Il faut d’abord qu’il soit le véritable, le seul maître de l’armée. Il méprise les avocats qui sont domptés, les idéologues dont il s’est servi. Les ouvriers des faubourgs, on a vainement, en son absence, essayé de les soulever au nom de la République. Ce qu’il a sujet de craindre, ce ne sont pas les civils, mais les militaires. En ce sens, il est antimilitariste, parce qu’il veut être le seul militaire qui commande, de manière à s’assurer le dévouement des uns, la crainte des autres, la subordination de tous. Il est le principal bénéficiaire des appels au soldat qui se sont succédé jusqu’au 18 brumaire et il est le premier intéressé à en clore la liste. Plus de caste d’officiers. Ce n’est pas l’armée qui gouverne, c’est lui et elle doit lui obéir. Dans le système de Napoléon, dans l’établissement de son autorité, c’est l’aspect le moins visible et le moins compris. Dans sa politique, c’est peut‑être la vue la plus profonde. On s’explique ainsi la suspicion où il tenait tant de ses généraux, la brutalité avec laquelle il les traitait parfois, les disgrâces qu’il prononçait, aussi brusques et retentissantes que les faveurs. Il importait, d’autre part, de donner à l’officier et au soldat la conviction, qui engendrait en même temps le zèle et l’obéissance, que leur fortune ne dépendait que de lui. C’est pourquoi, aussitôt après Marengo, il se fait le dispensateur des récompenses, en attendant de conférer les dignités et les grades. Méditant la Légion d’honneur, il commence par la distribution des armes d’honneur, dont il signe les brevets à l’exclusion de ses deux collègues, faisant inscrire sur les lames : « Bataille commandée en personne par le premier Consul. » Alors, même pour présider le Conseil d’État, il revêt l’uniforme qu’il affectait naguère de ne pas porter quand il ne fallait pas qu’on