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L’ILLUSION D’AMIENS

rine et leur commerce, à les asphyxier comme s’ils eussent perdu leurs poumons ? On n’était pas encore si loin de la rivalité qui, au XVIIIe siècle, avait mis l’Angleterre et la France aux prises. Et voilà que si l’Angleterre laissait à la République une extension qu’elle avait toujours disputée à la monarchie, elle signerait sa capitulation et son revers. À peine a‑t-elle conclu la paix d’Amiens qu’elle commence à le regretter. Et ses marchands, ses gens de commerce, ses financiers, sont les plus ardents à vouloir la guerre parce qu’ils s’aperçoivent que la France, augmentée de ses annexions, est une rivale redoutable. Cette force d’opinion détermina le Parlement et le gouvernement britanniques à reprendre la lutte.

L’exécution d’un traité importe autant que le traité lui‑même. À chercher ici les responsabilités de la rupture, on s’aperçoit qu’elles sont inégales, beaucoup plus lourdes du côté de l’Angleterre qui n’a pas tardé à soulever des difficultés, tandis que le premier Consul se met simplement en méfiance. La querelle naquit, grandit autour de l’île de Malte. Les Anglais refusaient d’exécuter la clause d’Amiens, de rendre l’île au grand maître de l’Ordre. Il était clair qu’ils n’entendaient pas se dessaisir de cette clef stratégique. Ils la gardent, du reste, encore. D’autre part, ils refusaient de croire que Bonaparte eût renoncé à l’Égypte. Les soupçons étaient réciproques et, plus l’Angleterre s’obstinait à retenir Malte, plus Bonaparte inclinait à penser qu’un solide établissement dans la Méditerranée était nécessaire à la France. On s’irrita sur ce rocher.

Jamais, pourtant, Bonaparte ne s’est montré plus incertain. Sa raison semble lui dire que la guerre est inévitable. Il agit comme si la paix devait durer toujours. Au mois de mars 1803, il y croit encore puisqu’il expose à la mer toute une escadre, avec