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NAPOLÉON

ou brutal, grossier quand cela se trouve. Pas de contrainte pour lui, tandis qu’il impose à son entourage des lois d’une étiquette sévère, renouvelée de l’ancienne cour ou imitée des cours étrangères, de telle sorte que rien ne ressemblera moins que la sienne à un camp.

Sur le trône, Napoléon est à l’aise plus que s’il y était né, parce que les traditions mêmes qu’il ressuscite sont calculées et voulues. Et d’abord, sa monarchie n’est pas, il ne faut pas qu’elle soit une monarchie militaire. Dans son palais, lui seul s’habille en soldat, comme pour rappeler qu’il commande à tous les autres, mais il adopte un uniforme sobre, à demi civil, l’habit vert des chasseurs de la Garde. À la guerre, il porte la redingote grise dont la simplicité unique désigne mieux le chef que les dorures et les panaches, laissés aux acteurs, aux « baladins ». À la cour, sabres, galons, insignes sont proscrits. L’habit brodé, la veste et la culotte de satin blanc sont de rigueur et, dans ce costume, qui souvent les ridiculise, on voit de « vieilles moustaches » républicaines comme Augereau. L’étiquette n’était pas seulement destinée à relever la majesté du souverain. Elle subordonne ses anciens compagnons d’armes, elle en fait des courtisans, comme Louis XIV en avait fait avec les derniers féodaux, elle efface les souvenirs, encore plus dangereux que gênants, de l’ancienne égalité des camps et du tutoiement des bivouacs. Ce n’est pas à l’égalité civile, c’est à celle‑là qu’en veut Napoléon. Il crée des maréchaux, il nomme les généraux. Dispensateur des grades et des dotations, il agit sur les militaires par les récompenses, par l’espoir et par la crainte, n’étant sûr de les tenir que si tout ce monde dépende lui, que s’il est visiblement domestiqué, chambellans au palais, exécutants sur le champ de bataille. La Légion d’honneur sert déjà de principe d’émulation en même temps que, par un mélange de civil et de militaire, elle noie les militaires parmi