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Page:Jacques Bainville - Napoléon.djvu/268

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AUSTERLITZ MAIS TRAFALGAR

jours après, à la dernière limite de l’attente, il commence à mettre l’armée en mouvement pour que, tournant le dos à la mer elle se dirige au cœur de l’Allemagne. Ordres donnés « avec ce discernement sans pareil de ce qui pressait plus ou moins dans les dispositions à prendre », avec une lucidité sereine. On dirait qu’il n’a jamais hésité, qu’il a prévu et voulu des choses auxquelles il se résout. C’est ce qui fait qu’on doute encore aujourd’hui qu’il ait songé sérieusement à passer le détroit. On croit au regard d’aigle, à l’inspiration subite du génie. C’est ce qui entraîne les hommes en frappant les imaginations et les intelligences. Jamais Napoléon n’a été suivi de la troupe, jamais il n’en a été l’idole comme au moment où, levant ses camps de l’Océan, il laisse une victoire morale, annonciatrice d’une autre victoire, à l’Angleterre affranchie désormais d’une mortelle inquiétude. Mais la raison de Bonaparte, toujours ferme derrière un rideau d’illusions volontaires, continuait de lui dire que rien ne serait fini tant l’Angleterre serait hors d’atteinte. Son grand projet de Manche, il ne l’abandonne pas. Il le diffère. Il se promet de le reprendre après avoir battu les Autrichiens et les Russes. Il ne ferait que « toucher barre » à Vienne. L’essentiel, il le savait, n’était pas là. « Le continent pacifié, je reviendrai sur l’océan travailler à la paix maritime. » Jamais il n’y devait revenir.

Il faut maintenant, avec les yeux de l’esprit, embrasser les deux parties de ce drame d’ombre et de lumière. Les torches joyeuses, le resplendissant soleil d’Austerlitz éblouissent encore comme les contemporains en ont été éblouis. Ce qui se passe dans les plaines d’Europe, des succès plus étonnants, plus miraculeux que ceux de la première campagne d’Italie, font oublier le désastre sans appel dont la plaine liquide est témoin. Le 30 septembre, le jour où Nelson croise déjà devant Cadix, la Grande