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Page:Jacques Bainville - Napoléon.djvu/476

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LE REFLUX ET LA DÉBÂCLE

est monté en traîneau avec Caulaincourt. Il avait laissé la Grande Armée dans un état affreux. Telle quelle, c’était encore une armée, capable de l’énergie du désespoir. L’empereur parti, c’est la débandade, le sauve-qui-peut. Chacun pense à son salut. On cesse d’obéir. L’indiscipline paraît jusque chez les chefs. Tout se démoralise et l’esprit de défection commence. Murat, à qui le commandement a été confié, n’est pas écouté, et lui-même ne donne pas le bon exemple. Dans les boues de la Lithuanie il ne pense qu’à son royaume, à sa couronne compromise, et, un jour, il traite tout haut son beau‑frère d’insensé. Comme lui, il a hâte de rentrer dans ses États. Il s’esquive dès qu’il le peut. Alors, ce qui arrive à Kœnigsberg, ce sont des épaves, le fantôme de ce qui a été la Grande Armée. Le désastre, dont la nouvelle se répand déjà, l’Allemagne le voit de ses yeux, et les conséquences en sont tirées. La Prusse est encore l’alliée de Napoléon ; à Berlin, Saint-Marsan, Narbonne, Augereau sont auprès du roi, dînent avec lui, quand le 30 décembre 1812, le général York, qui commande le corps auxiliaire prussien, signe de sa propre initiative un armistice avec les Russes. Première trahison qui commence par les Prussiens, pour continuer avec les Saxons à Leipzig, avec les Bavarois à Hanau. On ne peut mieux dire qu’Albert Sorel, c’est la réplique de la retraite de Brunswick après Valmy, « l’ère nouvelle » qui s’ouvre en sens opposé, le cri de « Vive la Nation » poussé dans la langue de Fichte et de Gœthe, tout ce qui s’est fait en vingt ans qui va se défaire en quinze mois. Frédéric‑Guillaume, d’abord « pétrifié » en apprenant la désobéissance téméraire du général York, et qui redoute encore Napoléon, se laissera entraîner par les patriotes, entraîner par son peuple, comme en 1806, et, dans deux mois, il aura renouvelé avec Alexandre l’alliance qu’ils avaient suspendue d’un commun accord pour leur propre conservation.