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Page:Jacques Bainville - Napoléon.djvu/553

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NAPOLÉON

Waterloo est la bataille sur laquelle on dissertera à l’infini et qui d’avance était perdue. Rien ne réussit parce que rien ne doit réussir. La prudence même devient funeste. L’action engagée plus tôt, Wellington pouvait être battu avant d’être rejoint par Blucher. Mais si les chevaux, si les canons s’embourbaient ? On s’attarde à emporter Hougoumont, à grands sacrifices d’hommes. Mais c’est pour ménager les munitions de l’artillerie. L’empereur, selon sa coutume, refuse sa Garde quand peut‑être elle changerait le sort de la journée. Il l’engage trop tard. Trop tôt, il ne fût rien resté pour la suprême résistance. À sept heures du soir, lorsque les Prussiens débouchent, que n’ordonne-t-il la retraite ? Mais elle serait hasardeuse, le champ de bataille étant déjà confus, et surtout, dès ce moment, retraite ou défaite, c’est la même chose. La pensée qui domine Napoléon, c’est que 1814 recommencera, si ce n’est pire qui commence. Ney, dans le dernier effort, crie la pensée de Napoléon et de tous : « D’Erlon, si nous en réchappons, toi et moi, nous serons pendus. »

Ceux qui, le matin de Waterloo, avaient vu Napoléon se disaient frappés de sa pâleur, de ce « visage de suif » dont ils avaient conçu un mauvais augure. Les Anglais, pour leur part, restèrent sous l’impression des soldats français, des cuirassiers surtout et de leurs charges désespérées, disant n’avoir jamais rencontré de figures si hostiles, « si âprement militaires ». Durable dans les imaginations et dans l’histoire, destiné au lyrisme qui se nourrit de désastres, l’effet d’ensemble est sépulcral, le cri : « Ils sont trop ! », le sauve-qui-peut, les derniers carrés de la Garde, Cambronne, le crépuscule héroïque, la déroute et la retraite nocturne de l’empereur que l’on vit pleurant.

Il avait quitté le champ de bataille avec lenteur, à regret. Puis il laisse la Belgique, la frontière, l’armée. C’était une fuite, et elle lui a été reprochée