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Page:Jacques Bainville - Napoléon.djvu/554

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MORNE PLAINE

durement. Toujours le militaire qui fait de la politique ! Comme en Égypte, comme en Russie, il abandonne ses soldats qui ne sont pas tellement vaincus qu’un chef ne puisse les regrouper pour barrer la route à l’invasion. Mais, à tout ce qu’on lui dit, il répond qu’il n’a plus d’armée, qu’il n’a plus que des fuyards ; il s’en prend à Ney, à d’Erlon, à Grouchy, « dans un chaos d’idées », dit l’un, et, dit un autre, « la tête égarée, flottant de projets en projets, faisant de son désastre un tableau plus effrayant encore que la réalité ». Le désastre, il était, depuis le retour de l’île d’Elbe, dans son cœur découragé. À travers son égarement, peut‑être simulé, Napoléon gardait pourtant une idée fixe. Sa résolution était prise dès le moment où il avait mesuré la défaite. Le souvenir, l’expérience de 1814 le hantaient. Rester avec l’armée pour y recevoir les sommations des maréchaux tandis que sa déchéance serait prononcée à Paris par les députés, offrir de continuer la guerre nationale pour s’entendre dire qu’on ne lui obéissait plus ? Convaincu que tout ce qui lui était arrivé l’année d’avant Fontainebleau tenait à ce qu’il s’était attardé hors de la capitale, inquiet d’ailleurs de l’opinion publique, des Chambres, de ses ministres, de ses frères, de la rue, il rentre d’une traite à Paris après avoir annoncé qu’il s’arrêterait à Laon.

Il disait devant Las Cases : « Je me suis trompé en 1814, en croyant que la France, à la vue de ses dangers, allait ne faire qu’un avec moi, mais je ne m’y suis plus trompé en 1815, au retour de Waterloo. » L’erreur aurait été difficile, et l’illusion, s’il eut celle de retrouver le pouvoir en rentrant à l’Élysée, ne dura pas même un jour. Le 21 juin au matin, défait, harassé, il est de retour à Paris, où la nouvelle de la catastrophe l’a précédé. Il s’est excusé sur cette fatigue, sur ce qu’il n’avait rien mangé depuis trois jours, de n’être pas allé tout de suite à la Chambre, avec son uniforme, ses bottes cou-