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Page:Jacques Collin de Plancy - Dictionnaire infernal.pdf/327

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que maladie nerveuse, employa le charme de sa brillante conversation à captiver l’attention de son hôte, pour l’empêcher de penser à l’heure fatale qu’il avait coutume d’attendre avec terreur. Il réussit d’abord. Six heures arrivèrent sans qu’on y fît attention. Mais à peine quelques minutes étaient-elles [écoulées que le monomane s’écria d’une voix troublée : — Voici la sorcière ! — et, se renversant sur sa chaise, il perdit connaissance. Le médecin lui tira un peu de sang, et se convainquit que cet accident périodique, dont se plaignait le malade, était une tendance à l’apoplexie. Le fantôme à la béquille était simplement une sorte de combinaison analogue à celle dont la fantaisie produit le dérangement appelé éphialte, ou cauchemar, ou toute autre impression extérieure exercée sur nos organes pendant le sommeil.

Un autre exemple encore me fut cité, dit Walter Scott, par le médecin qui avait été dans le cas de l’observer. Le malade était un honorable magistrat, lequel avait conservé entière sa réputation d’intégrité, d’assiduité et de bon sens. — Au moment des visites du médecin, il en était

Une dame en parure de bal


réduit à garder la chambre, quelquefois le lit ; cependant, de temps à autre, appliqué aux affaires, de manière que rien n’indiquait à un observateur superficiel la moindre altération dans ses facultés morales ; aucun symptôme ne faisait craindre une maladie aiguë ou alarmante ; mais la faiblesse du pouls, l’absence de l’appétit, le constant affaiblissement des esprits, semblaient prendre leur origine dans une cause cachée que le malade était résolu à taire. Le sens obscur des paroles de cet infortuné, la brièveté et la contrainte de ses réponses aux questions du médecin, le déterminèrent à une sorte d’enquête. Il eut recours à la famille : personne ne devinait la cause du mal. L’état des affaires du patient était prospère ; aucune perte n’avait pu lui occasionner un chagrin ; aucun désappointement dans ses affections ne pouvait se supposer à son âge ; aucune idée de remords ne s’alliait à son caractère. Le médecin eut donc recours avec le monomane à une explication ; il lui parla de la folie qu’il y avait à se vouer à une mort triste et lente, plutôt que de dévoiler la douleur qui le minait. Il insista sur l’atteinte qu’il portait à sa réputation, en laissant soupçonner que son abattement pût provenir d’une cause scandaleuse, peut-être même trop déshonorante pour être pénétrée ; il lui fit voir qu’ainsi il léguerait à sa famille un nom suspect et terni. Le malade frappé exprima le désir de s’expliquer franchement avec le docteur, et, la porte de la chambre fermée, il entreprit sa confession en ces termes :

« Vous ne pouvez comprendre la nature de mes souffrances, et votre zèle ni votre habileté ne peuvent m’apporter de soulagement. La situation où je me trouve n’est pourtant pas nouvelle, puisqu’on la retrouve dans le célèbre roman de Lesage. Vous vous souvenez sans doute