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Page:Jacques Collin de Plancy - Dictionnaire infernal.pdf/328

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de la maladie dont il y est dit que mourut le duc d’Olivarès : l’idée qu’il était visité par une apparition, à l’existence de laquelle il n’ajoutait aucunement foi ; mais il en mourut néanmoins, vaincu et terrassé par son imagination. — Je suis dans la même position ; la vision acharnée qui me poursuit est si pénible et si odieuse, que ma raison ne suffit pas à combattre mon cerveau affecté : bref, je suis victime d’une maladie imaginaire. »

Le médecin écoutait avec anxiété.

« Mes visions, reprit le malade, ont commencé il y a deux ou trois ans. Je me trouvais de temps en temps troublé par la présence d’un gros chat qui entrait et sortait sans que je pusse dire comment, jusqu’à ce qu’enfin la vérité me fût démontrée, et que je me visse forcé à ne plus le regarder comme un animal domestique, mais bien comme un jeu, qui n’avait d’existence que dans mes organes visuels en désordre, ou dans mon imagination déréglée. Jusque-là je n’avais nullement pour cet animal l’aversion absolue de ce brave chef écossais qu’on a vu passer par les différentes couleurs de son plaid lorsque par hasard un chat se trouvait dans un appartement avec lui. Au contraire, je suis ami des chats, et je supportais avec tranquillité la présence de mon visiteur imaginaire, lorsqu’un spectre d’une grande importance lui succéda. Ce n’était autre chose que l’apparition d’un huissier de la cour. Ce personnage, avec la bourse et l’épée, une veste brodée et le chapeau sous le bras, se glissait à mes côtés, et, chez moi ou chez les autres, montait l’escalier devant moi, comme pour m’annoncer dans un salon, puis se mêlait à la société, quoiqu’il fût évident que personne ne remarquait sa présence, et que seul je fusse sensible aux chimériques honneurs qu’il me voulait rendre. Cette bizarrerie ne produisit pas beaucoup d’effet sur moi : cependant elle m’alarma à cause de l’influence qu’elle pouvait avoir sur mes facultés. Après quelques mois, je n’aperçus plus le fantôme de l’huissier. Il fut remplacé par un autre, horrible à la vue, puisque ce n’est autre chose que l’image de la mort elle-même, un squelette. Seul ou en compagnie, la présence de ce fantôme ne m’abandonne jamais. En vain je me suis répété cent fois que ce n’est qu’une image équivoque et l’effet d’un dérangement dans l’organe de ma vue ; lorsque je me vois, en idée à la vérité, le compagnon d’un tel fantôme, rien n’a de pouvoir contre un pareil malheur, et je sens que je dois mourir victime d’une affection aussi mélancolique, bien que je ne croie pas à la réalité du spectre qui est devant mes yeux. »

Le médecin affligé fit au malade, alors au lit, plusieurs questions. « Ce squelette, dit-il, semble donc toujours là ? — Mon malheureux destin est de le voir toujours. — Je comprends ; il est, à l’instant même, présent à votre imagination ? — Il est présent à l’instant même. — Et dans quelle partie de votre chambre le voyez-vous ? — Au pied de mon lit ; lorsque les rideaux sont entrouverts, il se place entre eux et remplit l’espace

vide. — Aurez-vous assez de courage pour vous lever et pour vous placer à l’endroit qui vous semble occupé, afin de vous convaincre de la déception ? »

Le pauvre homme soupira et secoua la tête d’une manière négative. « Eh bien, dit le docteur, nous ferons l’expérience une autre fois. »

Alors il quitta sa chaise aux côtés du lit ; et se plaçant entre les deux rideaux entr’ouverts, indiqués comme la place occupée par le fantôme, il demanda si le spectre était encore visible, a Non entièrement, dit le malade, parce que voire personne est entre lui et moi ; mais j’aperçois sa tête par-dessus vos épaules. »

Le docteur tressaillit un moment, malgré sa philosophie, à une réponse qui affirmait d’une manière si précise que le spectre le touchait de si près. Il recourut à d’autres moyens d’investigation, mais sans succès. Le malade tomba dans un marasme encore plus profond ; il en mourut, et son histoire laissa un douloureux exemple du pouvoir que le moral a sur le physique, lors même que les terreurs fantastiques ne parviennent pas à absorber l’intelligence de la personne qu’elles tourmentent.

Rapportons encore, comme fait attribué à l’hallucination, la célèbre apparition de Maupertuis à un de ses confrères, professeur de Berlin. Elle est décrite dans les Actes de la Société royale de Berlin, et se trouve rapportée par M. Thiébaut dans ses Souvenirs de Frédéric le Grand. Il est essentiel de prévenir que M. Gleditch, à qui elle est arrivée, était un botaniste distingué, professeur de philosophie naturelle, et regardé comme un homme d’un caractère sérieux, simple et tranquille. Peu de temps après la mort de Maupertuis, M. Gleditch, obligé de traverser la salle dans laquelle l’académie tenait ses séances, ayant