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Page:James - Les Papiers de Jeffrey Aspern, paru dans le Journal des débats, 1920.djvu/101

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Pouvait-elle penser que je lui avais fait la cour pour obtenir d’elle les papiers ? Je ne la lui avais pas faite, non, mille fois non ; je me répétai cela à moi-même, une heure, deux heures durant, jusqu’à en être las, sinon convaincu. Je ne sais où me conduisit mon gondolier, sur la lagune ; nous flottions sans but à coups de rame lents et espacés. À la fin, je me rendis compte que nous étions près du Lido, très loin, sur la droite, quand on tourne le dos à Venise, et je me fis mettre à terre. J’avais besoin de marcher, de me secouer et de me débarrasser sur quelque chose de ma perplexité.

Je traversai l’étroite bande de terre et gagnai la plage, en me dirigeant vers Malamocco. Mais bientôt je me jetai tout de mon long sur le sable chaud, sur l’herbe sèche et touffue, dans la brise de mer. J’étais bouleversé à l’idée de me trouver en faute, à l’idée que j’avais inconsciemment, mais néanmoins déplorablement, joué avec un cœur. Mais je ne lui avais donné aucune raison de me croire amoureux — non, véritablement aucune. J’avais dit à Mrs Prest que je lui ferais la cour ; mais c’était une plaisanterie sans conséquence, et ma victime n’en avait jamais entendu parler. Je m’étais montré aussi bon que possible, parce que je me sentais vraiment de l’amitié pour elle, mais depuis quand pourrait-ce être considéré comme un crime, lorsqu’il s’agit d’une femme de cet âge et de cet extérieur ?

Je suis loin de pouvoir me rappeler clairement la suite des événements et des sentiments qui remplirent cette longue et confuse journée, que je passai entièrement à errer — je ne rentrai que tard dans la nuit. Il me revient seulement qu’à certains moments je parvenais à apaiser ma conscience, et qu’à d’autres je la torturais de mes reproches. Je ne ris pas une seule fois de la journée. Cela, je me le rappelle : quelque apparence qu’il revêtit aux yeux des autres, le cas me semblait, à moi, si peu amusant ! J’aurais mieux fait, peut-être, de le prendre du côté comique.

Enfin, en tout état de cause, que j’eusse