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Page:James Guillaume - L'Internationale, III et IV.djvu/227

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pour la réalisation desquels il avait fallu attendre le retour de Cafiero, de Russie d’abord, puis de Barletta. Ross acheta de la dynamite dans une fabrique située au bord du lac Majeur, près de la frontière, et l’on se rendit sur une montagne, près de Locarno, pour faire des expériences ; ensuite la dynamite fut portée à Bologne par Mme Cafiero, qui l’avait cousue dans une serviette nouée autour de sa taille ; cette dynamite ne fut d’ailleurs pas utilisée, et après l’échec du mouvement on la noya dans le Reno. Ross aussi fit un voyage à Bologne avant le mouvement insurrectionnel. Costa vint à la Baronata conférer avec Bakounine (probablement avant le retour de Cafiero de Barletta) ; il était vêtu d’un costume jaune et blanc, qui le faisait remarquer de tout le monde, et Bakounine, se moquant de lui, lui disait « qu’il avait l’air d’un canari » (d’après Ross) ; Costa ne demeura que très peu de temps à Locarno, et s’en retourna en Italie, où il avait encore de nombreux voyages à faire pour porter le mot d’ordre en différentes régions. Après le 15, Ross se rendit à Milan, emportant vingt à trente mille francs de l’argent de Cafiero ; c’étaient des valeurs en papier, Ross ne se souvient plus de quelle nature, qu’il devait changer contre de l’or ou du papier italien ; le banquier auquel il s’adressa refusa, parce que Ross lui était inconnu ; celui-ci télégraphia à Costa, qui arriva au bout de deux ou trois jours, et l’opération put se faire par le ministère d’un avocat ; Costa emporta l’argent à Bologne. Malalesta vint, lui aussi, à la Baronata ; c’était au plus fort de la crise, au moment où Bakounine venait de se décider à partir pour prendre part au mouvement insurrectionnel et chercher la mort sur une barricade ; Ross se rappelle s’être promené avec Malatesta sur la route de Bellinzona, et lui avoir raconté tout ce qui s’était passé ; Malatesta, qui donna sa pleine approbation à la décision de Cafiero, trouva tout naturel que Bakounine voulût se joindre aux révolutionnaires italiens et partager leur sort.

Cependant, après avoir annoncé sa résolution d’aller à Bologne, résolution prise dans un premier moment de désespoir, Bakounine s’était ravisé. À la réflexion, il eût préféré ne pas partir et rester auprès d’Antonie, non certes par pusillanimité, mais parce que l’entreprise où il fallait s’embarquer n’avait pas son approbation. Il n’osa toutefois pas s’en ouvrir directement à Cafiero ni à Ross ; mais il parla à Bellerio de son désir de ne pas s’éloigner, et le chargea de communiquer ce désir à Cafiero : Bellerio s’abstint de le faire ; et Bakounine, lié par sa première déclaration et ne croyant pas devoir changer d’attitude, se vit obligé, contre son gré, de partir pour Bologne[1] ; le lundi 27 juillet au soir, accompagné de Ross, il se rendit à Bellinzona, et prit dans cette ville la diligence pour Splügen[2]. Il s’arrêta deux jours à Splügen, à l’hô-

  1. Dans sa biographie de Bakounine (p. 802), Nettlau dit à ce sujet (d’après le témoignage de Bellerio) : « Il ne partait pas de son plein gré. Il dit à Emilio Bellerio, très catégoriquement : « Je n’ai pas du tout envie de partir ; dis-le-leur, mais sans qu’ils puissent soupçonner que c’est à mon instigation que tu leur en parles ». Bellerio se creusa la tête pour trouver une façon convenable de dire la chose ; mais il n’en trouva point, et s’abstint. Bakounine se sentait vieux, physiquement incapable, respirant péniblement : mais le point d’honneur ne lui permettait pas de faire valoir de semblables motifs ; il se sentait sacrifié par Ross et, sous l’influence de celui-ci, par Cafiero (qui auparavant l’entourait de tant de sollicitude), comme « un vieux chiffon absolument inutile et bon à jeter à tous les vents ». C’est dans cet état d’esprit qu’il paraît être parti pour Bologne. »
    J’ai fait lire à Ross, en 1904, ce passage de Nettlau, et il m’a répondu : « Si Michel avait dit qu’il ne désirait pas aller à Bologne, et qu’il voulait rester à Locarno, ses amis auraient regardé cette décision comme légitime, et n’auraient nullement insisté pour qu’il partît. Puisque, d’après Nettlau, il avait chargé Bellerio de le leur dire, il est regrettable que celui-ci ne l’ait pas fait. »
  2. Bakounine ne pouvait songer à entrer en Italie directement, par Arona, Varese ou Camerlata ; il lui fallait faire un long détour, pour éviter la surveillance de la police. En conséquence, à Bellinzona il prit la diligence qui, remontant la vallée grisonne de Mesocco, traverse le col du Bernardin, et redescend dans la vallée du Rhin Postérieur, jusqu’au village de Splügen. Il lui fallait ensuite, pour se rendre en Italie, franchir le col de Splügen, qui conduit à Chiavenna et de là au lac de Conio.