Aller au contenu

Page:James Guillaume - L'Internationale, III et IV.djvu/621

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

que l’État, étant une organisation de combat destinée à maintenir au pouvoir une classe de privilégiés ou une majorité, est obligé, pour assurer sa propre existence, de ne pas accorder à certaines catégories de citoyens la liberté qu’il concède seulement à ceux dont il pense n’avoir rien à redouter. Cette démonstration pratique est pour nous l’intérêt essentiel de ce procès. — Quant à la résistance à l’autorité, Chopard a déjà relevé la singulière contradiction qu’il y a entre les théories républicaines généralement admises chez nous, et celles du ministère public et de M. Sahli[1]. Quoi ! on enseigne, dans nos écoles publiques, à admirer la conduite des paysans suisses qui, au quatorzième siècle, se sont révoltés contre l’autorité d’alors ; on nous apprend, en théorie, que la résistance à l’oppression est un droit et un devoir ; votre Code pénal bernois lui-même dit expressément : « Wer sich rechtswidriger Weise einer Behörde widersetzt, wird bestraft u. s. w. », en sorte qu’il distingue nettement entre une résistance illégitime et une résistance qui peut être légitime si elle est fondée sur le droit ; et on vient nous prêcher ici la doctrine de l’obéissance passive ! le citoyen doit courber la tête, lors même que la violation de son droit est évidente, — quitte à réclamer plus tard, après que le mal est fait et qu’il est peut-être irréparable ! Je comprends qu’on applique une théorie pareille dans une caserne, puisque aussi bien la servitude est l’essence du système militaire ; dans la vie civile, alors qu’il s’agit, non de soldats enrégimentés, mais de citoyens que vous déclarez libres et souverains, votre doctrine est la plus complète négation de toutes vos libertés républicaines. — Comme on vous l’a déjà fait remarquer, l’article 76 de la constitution bernoise, non-seulement garantit à tout citoyen le droit de manifester son opinion par la parole, par la presse, par des emblèmes ; mais il ajoute que « la censure ou toute autre mesure préventive est à jamais interdite ». Or, nous savons, par les aveux de M. de Wattenwyl, que le directeur de justice, agissant comme représentant du gouvernement bernois, avait ordonné à la police d’empêcher le déploiement du drapeau rouge, c’est-à-dire de prendre des mesures préventives contre l’exercice d’un droit constitutionnel ! Quel bizarre renversement des rôles ! nous, qui nous soucions fort peu, lorsqu’il s’agit d’exercer un droit naturel, de savoir s’il est ou non inscrit dans une constitution, nous nous trouvons néanmoins être restés dans les limites du droit légal ; et le gouvernement de Berne, qui est le gardien de la loi, a commis une violation de la constitution qu’il est tenu de respecter et de faire respecter ! — Ne croyez pas, du reste, qu’en nous intentant ce procès, vous aurez réussi à nous intimider ou à nous déconsidérer ; vous aurez beau refuser de vous occuper du côté politique de la question, vous aurez beau vous entêter à nous poursuivre uniquement pour rixe accompagnée de coups et blessures : l’opinion publique ne s’y trompe pas, elle sait qu’il s’agit ici d’un procès politique, et que les hommes qui sont sur ces bancs

  1. Adhémar Chopard avait dit au tribunal : « Je n’ai qu’un mot à dire : c’est que nous sommes animés, nous socialistes, du même esprit que ceux de nos ancêtres qui revendiquaient les libertés du paysan contre les nobles. Vous allez nous condamner ; et pourtant vous glorifiez le jeune Melchthal, dont l’exploit est d’avoir agi comme nous, en frappant l’homme d’armes du bailli Landenberg qui osa porter la main sur ses bœufs. »