Page:Jaurès - Histoire socialiste, VI.djvu/137

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et entretenait la souffrance de la population. Les impôts étaient accablants, les objets de consommation, même les plus indispensables, avaient subi une forte plus-value. En outre, le régime d’oppression qui pesait sur l’Irlande avait attiré en Angleterre même une immigration toujours croissante d’Irlandais. C’étaient de pauvres malheureux qui fuyaient la famine et, peu exigeants pour les salaires, ils faisaient aux ouvriers nationaux une concurrence dangereuse et redoutable. Notons que c’est à partir de cette période que l’on voit se répandre en Angleterre, dans des proportions toujours plus grandes, le travail des femmes et enfants entraînant à sa suite la désagrégation du foyer, la ruine de la vie de famille et la décadence des mœurs. L’histoire de l’Angleterre enregistre dans cette période une instructive progression de la criminalité. C’est donc une nécessité absolue pour la Grande-Bretagne d’arrêter les guerres dissolvantes, et la joie populaire a des raisons profondes qui résident dans la condition économique et sociale alors très grave de la nation anglaise.

À l’examen, les Anglais de la haute classe trouvèrent déplorables les stipulations des préliminaires.

L’Angleterre, s’engageait à rendre, au moment de la paix définitive, les colonies conquises par elle, sauf Ceylan (Hollande) et la Trinité (Espagne). Elle évacuerait définitivement les points encore occupés du bassin de la Méditerranée. Malte retournait à l’Ordre et l’Égypte aux Turcs. Les îles Ioniennes seraient indépendantes. La France devait évacuer Naples. Le Portugal voyait son indépendance garantie. C’était tout. On ne parlait ni des conséquences continentales de la paix de Lunéville, c’est-à-dire que la France demeurait dans ses nouvelles limites et gardait sa suprématie en Hollande, en Suisse, en Italie ; elle conservait la Louisiane et la Guyane ; elle ne s’engageait pas à conclure le fameux traité de commerce qui devait enrichir la Grande-Bretagne… Edouard Cook, ancien sous-secrétaire d’État pour la guerre, écrivait à Castlereagh, dans une lettre rendue publique où il regrettait la guerre : « Nous permettons à la France, accrue des Pays-Bas, de former un système politique et commercial avec la Hollande, l’Espagne, la Suisse, l’Italie ; nous lui rendons le commerce des Antilles ; voilà soixante-dix millions de livres engloutis ! Nous avions des traités de commerce avec tous ces pays, nous n’en avons plus qu’un seul, avec Naples ! La France va monopoliser le trafic qui nous échappe, ruiner notre industrie qui émigrera avec ses capitaux, car l’argent n’a pas de patrie. La guerre, au contraire, maintiendrait notre monopole commercial, notre suprématie aux colonies ; elle ménagerait des débouchés immenses à nos produits. L’Espagne tombe à la banqueroute ; qu’elle saisisse le Portugal, elle nous livre le Brésil ! Trois ans de guerre prolongée nous seraient moins onéreux que cette paix, et la France ne les pourra soutenir, car elle n’a ni crédit, ni finances. » Ce mouvement de protestation fut sérieux dans le Parlement et l’on a, dès ces premiers jours de