Page:Jaurès - Histoire socialiste, VI.djvu/138

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pacification, l’impression que la guerre n’est pas éloignée, cette guerre tant préconisée par Cook et tant honnie par Fox, qui disait simplement et courageusement : « Quelques personnes se plaignent de ce que nous n’avons pas atteint le but de la guerre. Assurément, nous ne l’avons pas atteint, et je n’en aime que mieux la paix. » Hélas ! cette passion de la paix traduite en un tel moment et sous une forme aussi saisissante ne pouvait guère porter ses fruits, la vérité étant surtout du côté de ceux qui répétaient, avec Windham : « Croire que Bonaparte ne fera pas de nouvelles conquêtes est une extravagance ! »

En France, l’accueil fait à la paix fut sensiblement le même qu’en Angleterre. Pour le peuple, c’est la délivrance, c’est la réalisation du vœu universel. La paix va ramener l’abondance ! Depuis les premiers jours du Consulat, on la réclame, le Consulat même a été accueilli, accepté, parce qu’il a promis la paix. Si le pays n’avait pas acclamé la pacification, il aurait donc renié son désir le plus cher, le plus ardent. C’est en conformité avec les sentiments de toute la nation que Bonaparte écrit, le 22 novembre 1801 : « La France jouira de la paix, refera sa marine, réorganisera ses colonies, recréera tout ce que la guerre a détruit. Portons dans les ateliers de l’agriculture et des arts cette ardeur, cette constance, cette patience qui ont étonné l’Europe dans les circonstances difficiles. Unissons aux efforts du gouvernement les efforts des citoyens, pour enrichir, pour féconder toutes les parties de notre territoire. » Voilà des paroles qui devaient toucher le peuple français, et Bonaparte est fidèle à son rôle de comédien génial lorsqu’il les dit. Nous verrons le cas qu’il fait en réalité de cette fameuse paix. Mais auparavant, il convient d’indiquer ce que M. Sorel appelle la résistance des corps de l’État aux projets pacifiques du premier consul. On s’attendait à ce que cette résistance fût parallèle à celle que nous avons marquée en Angleterre, surtout étant donnée la situation du chapitre où cet éminent historien traite de cette résistance[1]. Il n’en est rien pourtant, ce n’est pas des préliminaires qu’il s’agit, mais du traité russe où les émigrés polonais et russes étaient appelés « sujets respectifs ». Chénier dit au Tribunat : « Nos armes ont combattu pendant dix ans pour que nous fussions citoyens et nous sommes devenus des sujets. Ainsi s’est accompli le vœu de la double coalition. » M. Sorel ajoute aussitôt après avoir cité ces paroles si justes et qui revêtent un véritable sens prophétique, mais s’appliquent à un cas bien déterminé sans rapport avec les préliminaires : « Ces murmures, dans le silence général, prenaient des airs de blâme. Bonaparte en fut affecté au delà de ce qu’on peut dire, et cette impression le confirma dans la conviction où il était, que, pour exister, la République était condamnée à étendre toujours sa domination. » C’est prêter en vérité au premier consul un raisonnement

  1. Op. cit. Les préliminaires de Londres : l’opinion en France.