Page:Jaurès - Histoire socialiste, VI.djvu/163

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et de ses agents, mais ceux-là du moins croyaient toujours à la culpabilité des anarchistes : « L’espoir des anarchistes n’est pas détruit ; leurs mouvements l’indiquent. Hier, après la parade, plusieurs individus étaient dans la rue Nicaise et examinaient le lieu de l’explosion du 8. Une femme mal vêtue dit à très haute voix qu’il ne fallait pas avoir fait tant de dégâts, pour manquer Bonaparte (avec une épithète injurieuse). L’un des témoins voulut répondre. Une autre femme, un peu mieux vêtue que la première, s’exprima en ces termes : « Elle n’a pas tort… Bonaparte ne s’entoure que d’émigrés : il a été manqué, mais il sautera toujours ; il y a encore des patriotes[1] ».

C’est par de tels racontars que s’entretenait la haine du premier consul. Ayant obtenu du Conseil d’État l’acte qu’il voulait[2], il rendit, un arrêté « qui mettait en surveillance spéciale, hors du territoire européen de la République », 130 citoyens, et, pour légaliser cette procédure — il se passait ainsi de toute discussion devant le Tribunat et le Corps législatif, — il demanda au Sénat si cette mesure était conservatoire de la constitution. Le 15 nivôse, le Sénat répondit par le sénatus-consulte suivant qui contient, avec la plus colossale injustice, la preuve des sentiments qui animaient les révolutionnaires nantis, membres du Sénat, à l’égard des hommes qui n’avaient pas comme eux rampé devant le nouveau César… : « Le Sénat conservateur…, considérant qu’il est de notoriété que, depuis plusieurs années, il existe dans la République et notamment dans la ville de Paris, un nombre d’individus, qui, à diverses époques de la Révolution, se sont souillés des plus grands crimes ; que ces individus s’arrogent le nom et les droits du peuple, ont été et continuent d’être en toute occasion le foyer de tout complot, les agents de tout attentat, l’instrument vénal de tout ennemi étranger ou intérieur, les perturbateurs de tout gouvernement, et le fléau de l’ordre social ; que les amnisties accordées à ces individus en diverses circonstances, loin de les rappeler à l’obéissance aux lois, n’ont fait que les enhardir par l’habitude et les encourager par l’impunité ; que leurs complots et attentats réitérés dans ces derniers temps, par cela même qu’ils ont échoué, leur deviennent un nouveau motif d’attaquer un gouvernement dont la justice les menace d’une punition finale ; qu’il résulte des pièces soumises au Sénat conservateur que la présence de ces individus dans la République et notamment dans cette grande capitale, est une cause continuelle d’alarmes et d’une secrète terreur pour les citoyens paisibles qui redoutent, de la part de ces hommes de sang, le succès fortuit de quelque trame et le retour de leurs vengeances ; considérant que la constitution n’a point déterminé les mesures de sûreté nécessaires à prendre en un cas de cette nature ; que, dans ce silence de la constitution et des lois sur les moyens de mettre un terme à des dangers qui menacent chaque jour la chose publique, le désir et la volonté du peuple ne

  1. Archives nationales, rapport de police du 16 nivôse ix. F7 3702.
  2. 14 nivôse.