Page:Jaurès - Histoire socialiste, VI.djvu/190

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Pitt reparaît. Toutes les reprises de négociations échouent, c’est la fin. Le 12 mai 1803, Whitworth quittait Paris.

Ainsi, la France retournait à la guerre. Cette guerre, il ne faut pas hésiter à le proclamer, c’est Bonaparte qui l’a voulue. Les pourparlers, les négociations, les longues notes de cabinet à cabinet, tout cela n’était point son affaire. Accroître toujours son autorité, agrandir « son » domaine dans la paix ou dans la guerre, voilà ce qui lui convient. Les traités qu’il veut voiler de crêpe, il n’en respecte aucun, ou plutôt il cherche derrière eux, en dehors d’eux, à porter atteinte aux droits des peuples qui l’entourent. Nous savons ce qu’est cette politique. Faut-il, aujourd’hui encore, en donner un exemple ? N’avons-nous pas vu un pays entretenu loin de toute vie politique, une nation étouffée sous le joug le plus pesant de l’autocratie s’étendre en pleine paix et tout à la fois par des traités et au mépris des traités, heurter les intérêts considérables de peuples voisins ? Le jour, où, par une telle politique, un conflit éclate, on entend alors le pillard accuser le pillé, et tenter une réhabilitation impossible.

La vie qui désertait la nation française tenue à l’écart de cette activité qui, pendant la Révolution, l’avait faite vraiment maîtresse d’elle-même pouvait renaître. Bonaparte ne le voulait pas. Il fallait employer toute l’énergie nationale, mais en vue de sa propre gloire. Or, la guerre lui paraissait le moyen le plus sûr de parvenir à cette fin. Il parlait aux ambassadeurs, selon le mot de Whitworth, comme un « capitaine de dragons », et non comme un chef d’État. C’est qu’il est, avant tout, un capitaine et que, parvenu par les armes, c’est par les armes encore qu’il espère atteindre au plus haut sommet. La guerre est sa chose. La guerre contre l’Angleterre a des chances d’être « nationale ». Et pourtant, c’est avec défaveur que l’annonce de la rupture fut accueillie. « Paris ne manifesta point. Il y eut seulement quelques murmures dans le peuple des Halles. Les gendarmes faisaient peur ; on n’osait blâmer. Mais on n’approuvait point et la police dut déployer un zèle extraordinaire pour provoquer quelques apparences de démonstrations favorables[1]. » On avait cru à la paix définitive ! Hélas n’allait-on pas croire bientôt que Bonaparte avait tout fait pour la rendre telle, et qu’il n’avait été contraint à la guerre que par la perfidie et les attaques anglaises ! La lutte commençait avec tous les signes du mépris le plus profond pour le droit des gens ou le droit commun : le 16 mai, le roi d’Angleterre ordonnait de mettre l’embargo sur les navires de commerce français et hollandais ; quelques jours après, Bonaparte faisait jeter en prison tous les Anglais qui se trouvaient en France, faisait arrêter le secrétaire de l’ambassade anglaise et les bagages de Whitworth. Lord Elgin, ambassadeur d’Angleterre à Constantinople, qui débarquait à Marseille pour aller s’embarquer à Calais, fut mis en forteresse, quoique malade. Sir James Crawfurd, ministre d’Angleterre à Copenhague de passage en

  1. Sorel, o. c, p. 295.