Page:Jaurès - Histoire socialiste, VI.djvu/228

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

méprisé par tout le monde, et, au contraire, Hardenberg qui poussait à la guerre, ainsi que la reine Louise et le prince Louis, neveu du roi, voyait monter vers lui la confiance de la nation. La Confédération du Rhin comprimait totalement la Prusse : elle pouvait, en quelque sorte, craindre d’être étouffée, d’autant plus que Napoléon, tout en conseillant à Frédéric-Guillaume de constituer une confédération de l’Allemagne du Nord, défendait aux États susceptibles d’y entrer de donner leur adhésion et travaillait au contraire, à les attirer vers lui. La situation était, en somme, intolérable pour la Prusse. Napoléon agissait de plus en plus comme le despote universel et n’ayant, sur les limites de son empire même, que des royaumes dont il était le suzerain, le maître, il en arrivait à considérer la Prusse comme un autre satellite de sa puissance. Il avait pourtant un ennemi toujours prêt à recueillir les plaintes des mécontents. L’Angleterre offrit à la Prusse et à la Russie de refaire une coalition. Six millions de livres sterlings vinrent appuyer ces offres, et, le 15 septembre 1806, la Russie, la Suède, l’Angleterre et la Prusse avaient conclu la quatrième coalition.

Les Prussiens n’étaient en rien préparés à la guerre qu’ils allaient affronter contre une armée de métier entraînée et victorieuse. Sans entrer dans les détails de l’organisation des troupes prussiennes, nous pouvons noter quelques traits caractéristiques : les capitaines étaient propriétaires de leur compagnie et, par conséquent, ils l’exploitaient pour en retirer des bénéfices, c’est ainsi qu’ils n’armaient point leurs hommes et en restreignaient le nombre pour éviter des dépenses ; les soldats étaient, pour la plupart, mariés, et s’ils étaient prêts à parader, ils ne l’étaient guère à combattre ; les chefs étaient âgés, Brunswick avait soixante et onze ans ; 28 colonels sur 66 avaient plus de soixante ans, 86 majors sur 281 avaient plus de cinquante-cinq ans, et 190 en avaient cinquante ; l’armement était piteux, à telle enseigne qu’on n’osait pas essayer les fusils tant ils étaient usés… Mais, comme il convient, le peuple se répandait dans Berlin en criant : « À Paris ! à Paris ! » La reine Louise, à cheval, passait des revues. Des officiers allaient aiguiser leurs sabres sur les marches de l’escalier de l’ambassade de France.

C’est Frédéric-Guillaume III qui attaquait, c’est lui qui avait sommé Napoléon d’évacuer l’Allemagne et de renoncer à la Confédération du Rhin, c’est donc de ses troupes qu’allait venir le premier coup : les Russes achèveraient l’affaire. Brunswick, secondé par le duc de Saxe-Weimar, s’avança en Thuringe avec la plus forte armée. Il s’installa à Erfurt, tandis que ses premiers corps touchaient à Eisenach, c’est-à-dire à la frontière de Hesse. Plus à l’est, sur la ligne de la Saale, une seconde armée prussienne, rangée sous le commandement du prince de Hohenlohe, occupait Iéna et s’avançait jusqu’à Saalfeld, regardant la Franconie. Les Prussiens avaient ainsi en ligne 150 000 hommes. Ils s’avançaient sans plan arrêté, ou plutôt avec trop de plans, car il n’y avait aucune unité dans l’état-major. Une seule chose était