Page:Jaurès - Histoire socialiste, VI.djvu/229

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certaine, c’est que les Français seraient balayés à la première rencontre. En attendant, les troupes étaient embarrassées par une multitude de bagages, et ne recevaient pas les rations nécessaires à leur subsistance, tant le désordre était complet.

Napoléon, sans hâte apparente, réunit en Franconie 175 000 hommes et, selon sa tactique habituelle, au lieu d’attendre le choc prussien, il pousse vivement son attaque, et, tandis que Brunswick l’attend au nord-ouest, il descend au contraire au sud-est, pour remonter vers l’armée de Hohenlohe qui est la plus faible, la déborder si possible, et menacer Berlin. Il débouche en effet en Thuringe par les défilés du Frankenwald, Soult et Ney formant sa droite, Davout, Bernadotte et Murat tenant le centre, Lannes et Augereau se rabattant par la gauche sur les positions prussiennes de Saalfeld. Le centre français avait déjà refoulé le corps prussien de Tauenzien à Schleitz, lorsque Lannes remporta la victoire de Saalfeld, où mourut le prince Louis de Prusse, victoire qui installait les Français sur la Saale, et apprenait aux Prussiens que Napoléon allait, par le nord, les enfermer en Thuringe, les couper de Berlin, et les écraser comme Mack avait été écrasé à Ulm. Le roi Frédéric-Guillaume et le vieux duc de Brunswick tinrent conseil pendant neuf heures pour savoir ce qu’ils devaient faire. Ils ne pouvaient, selon toute évidence, que venir en hâte joindre Hohenlohe pour arrêter la marche de Napoléon. Ils se résolurent donc à abandonner la ligne Erfurt-Eisenach pour gagner Weimar. Il était trop tard : Davout les arrêta à Auerstaedt. Napoléon, en effet, s’étant avancé jusqu’à Iéna, s’était trouvé en contact avec l’armée de Hohenlohe, qu’il pensait être la principale armée prussienne, aussi avait-il fait ses plans pour l’accabler et la réduire. Dans ce but, il avait détaché Davout et Bernadotte vers le Nord avec mission de revenir sur Iéna, c’est-à-dire de prendre Hohenlohe entre deux feux. Or, en réalité, Davout se trouva en présence des 60 000 Prussiens qui, sous Brunswick et le roi, rétrogradaient sur la route de Berlin.

Il y eut donc, le 14 octobre 1806, deux batailles. A Iéna, Napoléon, secondé par Lannes, Soult, Ney, Augereau et Murat, écrase le corps de Hohenlohe qui ne savait pas du tout avoir affaire à l’empereur. À Auerstaedt, Davout seul — car Bernadotte lui refusa ses services et se retira à Dornburg — avec 26 000 hommes commandés par les divisionnaires Gudin, Friant, Morand, tient tête à un ennemi infiniment supérieur en nombre et, par des mesures stratégiques très remarquables, remporte la victoire décisive[1]. C’est à Auerstaedt que Brunswick fut frappé à mort. Frédéric-Guillaume, en retraite, voulut rejoindre Weimar, mais Davout, qui pensait que Napoléon s’avançait, poussa devant lui vigoureusement l’armée qu’il venait de battre. Soudain les fuyards d’Iéna rejoignirent les fuyards d’Auerstaedt, et ce fut

  1. Les Prussiens perdirent 22 000 hommes le 14 octobre.